Al-Badry, Wesaam -Chanel #VII,  from the series "Al-Kouture"(2018) © Al-Badry, Wesaam

La mode contemporaine musulmane s’expose au Musée de Francfort

« Contemporary Muslim Fashions » est la première grande exposition muséale à explorer la complexité et la diversité des styles de vêtements musulmans actuels. »

C

 

es dernières années, les acheteurs musulmans sont de plus en plus considérés comme un segment important de l’industrie mondiale de la mode. Avec plus de 1,8 milliard de musulmans pratiquants dans le monde, la diversité des styles vestimentaires est très nuancée. Pourtant, en Occident, l’image des femmes musulmanes est souvent monochrome. San Francisco et Francfort sont des lieux particulièrement appropriés pour présenter le thème de cette exposition. Les deux villes se caractérisent par une grande diversité culturelle et ethnique. De plus, en tant que plaque tournante du commerce en Europe, Francfort est l’une des villes les plus internationales d’Allemagne avec une population composée à 53 % d’étrangers et d’Allemands d’origine immigrée. Les musulmans visibles font partie intégrante du paysage urbain de San Francisco et de Francfort depuis des décennies.

C’est dans ce contexte cosmopolite et fort de son succès au Young Museum de San Francisco que l’exposition « Contemporary Muslim Fashions » débarque en Europe ; Et s’installe du 5 avril au 1er septembre 2019 au musée Angewandte Kunst de Francfort-sur-le-Main, en Allemagne. Découvrez à travers notre itinéraire les grands axes de cette exposition muséale.

 

Halima Aden, Photograph by Sebastian Kim-Melinda Looi (b. 1973, Malaysia) for Melinda Looi (est. 2000, Malaysia), Ensemble (dress, turban, earrings, rings, and shoes), Sunset in Africa Collection, 2012. Tie-dyed silk chiffon with feathers, semi-precious stones, and Swarovski crystals, silk satin lining. Photograph by Sebastian Kim
Melinda Looi (b. 1973, Malaysia) for Melinda Looi (est. 2000, Malaysia), Ensemble (dress, turban, earrings, rings, and shoes), Sunset in Africa Collection, 2012. Tie-dyed silk chiffon with feathers, semi-precious stones, and Swarovski crystals, silk satin lining. Model : Halima Aden, Photograph by Sebastian Kim

Bienvenue dans le monde de la « Modest Fashion » ou « Mode Pudique »

Au début de l’exposition, une sélection d’ensembles plongera le visiteur dans l’univers de la Mode Pudique. La combinaison de designs élégants et de différents degrés de couverture a laissé une marque impressionnante dans le monde de la mode occidentale au cours des dernières années. Sur le marché de la mode, les créateurs de mode musulmans et non musulmans, qu’ils soient émergents ou établis, rencontrent aujourd’hui des entreprises de mode occidentales actives au niveau international qui ont reconnu l’importance du marché musulman et produisent les collections de mode correspondantes. Ce marché représente un chiffre d’affaires annuel d’environ 44 milliards de dollars.

Aujourd’hui, les Fashion Weeks de la Mode Pudique ont lieu dans le monde entier, offrant aux créateurs des scènes pour leurs collections. Parallèlement, de plus en plus de designers musulmans se fraient un chemin dans le monde de la mode occidentale. L’essor de ce secteur de la mode est étroitement lié au pouvoir d’achat des femmes musulmanes, mais il est aussi attribué à une génération de jeunes femmes musulmanes déterminées, actives sur les blogs de mode et très influentes sur les réseaux sociaux, qui sont à la base de nouvelles narratives identitaires sur les femmes musulmanes.

Yazdi, Habib (director) Rattani, Abbas (executive producer) Aghajanian, Sara (producer) Stills aus dem Video/from Somewhere in America #MIPSTERZ 2013
Yazdi, Habib (director) Rattani, Abbas (executive producer) Aghajanian, Sara (producer)
Stills aus dem Video/from Somewhere in America #MIPSTERZ 2013

Une exploration des différentes formes de couvrance

« Tout au long du parcours, Contemporary Muslim Fashions explore différentes formes de couvrance, en particulier le foulard, peut-être l’élément le plus reconnaissable de la robe d’une femme musulmane. Il est important de noter que toutes les femmes musulmanes ne portent pas l’ hijab (foulard), et encore moins le niqab (voile du visage). En fait, le nombre de femmes musulmanes qui portent régulièrement le foulard aux États-Unis a stagné à environ 40 % au cours de la dernière décennie. Il se porte pour diverses raisons, dont la piété personnelle, les conventions communautaires ou diverses positions politiques, etc. »
Nike Pro Hijab Zeina Nassar, boxer/Shot by Rick Guest @ East2017 © Nike, Inc.
Nike Pro Hijab
Zeina Nassar, boxer/Shot by Rick Guest @ East2017
© Nike, Inc.

Les explorations régionales de l’exposition commencent dans les pays à majorité musulmane du Moyen-Orient, avec le travail de designers tels que Faiza Bouguessa, Mashael Alrajhi, et Wadha Al Hajri, qui s’approprient les vêtements régionaux et les confectionnent de manière unique. L’abaya traditionnelle – un vêtement noir simple et ample conçu pour couvrir le corps du cou aux pieds – a reçu des mises à jour contemporaines de designers dont les créations s’appuient sur leurs propres modes de vie transcontinentaux et sur leurs études en matière de mode. Avec une histoire centenaire, les abayas d’aujourd’hui révèlent la fusion des traditions textiles régionales et des tendances de mode mondiales pour former de nouveaux vêtements qui plaisent aussi bien au public local que mondial.

Bouguessa - Presentation - Dubai FFWD Fall/Winter 2016
Bouguessa – Presentation – Dubai FFWD Fall/Winter 2016

Bien plus que du tissu sur la tête

Des photographies prises par des artistes comme Alessia Gammarota, Rania Matar, et Tanya Habjouqa illustrent le degré élevé de diversité des couvre-chefs (et leur absence) entre les régions, les générations et les individus. Le sujet est exploré de manière critique par les photographies documentaires de Hengameh Golestan.

Alors que la révolution islamique renversait le dernier monarque persan et mettait au pouvoir un nouveau gouvernement islamique en Iran en 1979, Hengameh Golestan a commencé à documenter l’agitation du pays. À l’occasion de la Journée internationale de la femme, le 8 mars 1979, elle a saisi ces images

comme des témoignages de manifestations de femmes contre les changements législatifs qui ont été apportés peu après la création de la république islamique. L’une de ces lois concernait le port obligatoire du voile par les femmes… dans tous les espaces publics.”

Ces manifestations se sont poursuivies pendant plusieurs jours et ont attiré des centaines de milliers de femmes. En guise de rappel de cet événement, les images ont acquis récemment une nouvelle signification dans le sillage des nouvelles protestations contre la couverture obligatoire des femmes en Iran. Les images sont complétées par une vidéo sur Twitter montrant Vida Movahedi qui proteste contre la couverture obligatoire des femmes en Iran.

Women join forces to protest against the hijab ruling in Tehran, Iran, 1979 CREDIT: HENGAMEH GOLESTAN
Women join forces to protest against the hijab ruling in Tehran, Iran, 1979 CREDIT: HENGAMEH GOLESTAN

De nouvelle approche de la mode musulmane

Dans la seconde partie de l’exposition, une sélection de vêtements fabriqués par des musulmans vivant actuellement aux États-Unis et au Royaume-Uni, tels que Céline Semaan Vernon de Slow Factory et Saiqa Majeed de Saiqa London, montre comment les flux migratoires ont également façonné les pratiques sociales, religieuses et les codes vestimentaires. Par exemple, Slow Factory s’est récemment associé à l’American Civil Liberties Union (ACLU) pour créer une collection en réponse directe au “Muslim ban” du président Trump.

Pour explorer l’essor de la culture de consommation musulmane, une section de l’exposition présente des vêtements de luxe, mais aussi de prêt-à-porter, et de sport à prix abordable qui s’adressent à une clientèle plus modeste. Ce qui s’illustre notamment avec les créations de Sarah Elenany et Barjis Chohan, ou encore avec le Nike’s Pro Hijab ou le burkinis de Shereen Sabet et Aheda Zanetti.

Semaan Vernon, Céline /for Slow Factory Banned, 2017 Model: Hoda Katebi Foto: Driely Carter © Slowfactory
Semaan Vernon, Céline /for Slow Factory « Banned », 2017 /Model: Hoda Katebi / Foto: Driely Carter © Slowfactory

En continuant vers l’Indonésie, Contemporary Muslim Fashions explore les riches traditions textiles et costumières d’un pays qui est le plus grand pays à majorité musulmane du monde et dont les designers, comme Itang Yunasz, Khanaan Luqman Shamlan, et NurZahra, utilisent dans leurs créations des tissus de luxe, hauts en couleur, au motif complexe.

Des tendances similaires se retrouvent aussi en Malaisie, où l’explosion des réseaux sociaux et du e-commerce a fait naître un marché en pleine croissance autour de la beauté halal, de la technologie, de la nourriture et de la mode,, comme par exemple la marque Blancheur, ainsi qu’une forte demande pour des looks sur mesure qui satisfont une élite de créateurs musulmans tels que Melinda Looi, Bernard Chandran, et FIZIWOO.

A view of the “Contemporary Muslim Fashions” exhibit
A view of the “Contemporary Muslim Fashions” exhibit

Une communauté web dynamique

Le rayonnement international de la mode musulmane pudique est stupéfiant,” déclare la commissaire conseillère Reina Lewis, professeur d’études culturelles au London College of Fashion, University of the Arts London. “Dans les pays à majorité musulmane et dans le contexte minoritaire de la diaspora, les modestes fashionistas musulmanes s’inspirent du passé et du présent pour créer de nouvelles formes de mode hybride qui se répandent partout sur la planète, grâce aux réseaux sociaux et aux relations familiales et communautaires.”

La mode musulmane est soutenue par une communauté web dynamique. Comme beaucoup de blogueurs de mode, les influenceurs de mode pudique ont commencé leur engagement avec les blogs et les réseaux sociaux en raison du manque de diversité perçu dans les médias grand public et dans les magasins de détail. Mettant en vedette des leaders sur Instagram comme Hoda Katebi, Leah Vernon, ou Dian Pelangi.

L’exposition examine comment le style personnel peut servir de tremplin à des conversations plus vastes qui appellent au dialogue sur la durabilité et les inégalités de genres, de races et religieuses.“Les femmes musulmanes ont toujours adopté dès leur apparition la plupart des nouveaux réseaux sociaux,” explique Laura Camerlengo, commissaire associée des arts textiles et du Costume. « Pour beaucoup d’adeptes de la mode Pudique, les réseaux sociaux sont non seulement un moyen de partager leur style personnel, mais aussi de discuter des préoccupations religieuses contemporaines et des injustices sociales, et un outil pour un changement social positif.”

 

Une tension entre l’idéologie occidentale et l’idéologie arabo-islamique

Tout au long de l’exposition, une sélection d’œuvres d’artistes, dont Wesaam Al-Badry et Shirin Neshat, explore de façon critique les questions relatives à la réglementation vestimentaire, aux structures patriarcales, à la détermination et à l’attribution étrangères. Les trois photographies de la série Al-Kouture (2017) de Wesaam Al-Badry‘s (*1984)montrent des femmes portant un Niqab (voile facial), chacune faite d’écharpes en soie des marques iconiques haut de gamme Chanel, Valentino, et Gucci.

Pour l’artiste d’origine irakienne, qui a déménagé dans le Midwest des États-Unis dans les années 1990, la série révèle une tension entre l’idéologie occidentale et l’idéologie arabo-islamique qui est façonnée par la culture de consommation occidentale qui influence la culture musulmane traditionnelle. Al-Badry utilise ses œuvres pour explorer la dissonance entre ses expériences au Moyen-Orient et en Amérique centrale en abordant les notions communes d’identité, de guerre et d’islamophobie.

L’œuvre Turbulent (1998) fait partie d’une trilogie vidéo de l’artiste iranienne Shirin Neshat, dans laquelle elle retrace les tensions entre l’expérience féminine et masculine ainsi qu’entre l’identité individuelle et collective. L’artiste a travaillé avec des artistes et musiciens iraniens en exil. Alors que le chanteur Shoja Azari interprète une chanson sur l’érotisme et le désir spirituel devant un large public, la chanteuse Sussan Deyhim, vêtu d’un tchador noir, se tient dans une salle de théâtre vide et chante une mélodie improvisée avec une voix de gorge, mais sans paroles. L’artiste fait ainsi référence à une interdiction imposée lors de la révolution islamique en Iran en 1979, qui interdisait aux femmes de chanter en public.

Le haut de gammes de la mode musulmane

La dernière section de l’exposition explore les créations de mode haut de gamme qui ont été adaptées aux diverses considérations de pudeur de la femme musulmane. Depuis la seconde moitié du XXe siècle, les clients musulmans d’élite sont d’importants mécènes des maisons de couture parisiennes, où les créations sont souvent adaptées aux sensibilités régionales et religieuses. Fidèle à l’esprit de la couture, cette industrie a depuis longtemps montré sa volonté de modifier ses créations pour répondre aux besoins des clients qui souhaitent s’habiller pudiquement. Aujourd’hui, cette tradition se perpétue dans les grandes maisons de mode occidentales qui proposent des collections spéciales pour le Ramadan et l’Aïd, comme le propose Oscar de la Renta. Certaines marques internationales collaborent avec d’autres, pour créer de petites collections capsules telle que The Modist.

Bağzıbağlı, Raşit /for Modanisa Desert Dream Collection Spring/Summer 2018 © Modanisa
Bağzıbağlı, Raşit /for Modanisa – Desert Dream Collection – Spring/Summer 2018 © Modanisa

Un enthousiasme au-delà du contexte religieux

La demande croissante de vêtements pudiques et élégants de la part des femmes musulmanes a donné naissance à un marché qui répond à divers besoins au-delà des communautés musulmanes. Il existe un nombre croissant de femmes non musulmanes qui préfèrent des vêtements étiquetés « pudiques » par les maisons de couture car elles apprécient l’accent plus discret mis sur le corps et/ou y voient un acte d’émancipation par rapport à une imagerie de la mode féminine occidentale plus orientée sur le corps.

« La mode pudique » n’est pas synonyme de port du foulard, de la burka ou du Nikab. Elle n’est pas nécessairement associée à une religion, mais correspond plutôt à une certaine idée de la révélation ou de la dissimulation de l’aspect physique. En ce qui concerne l’exposition, Max Hollein le résume ainsi : « La mode est la forme d’expression extravertie d’un état culturel. Le reste est une question de perspective« .

 

En tant que premier musée en Europe et unique institution en Allemagne à présenter « Contemporary muslim fashions ». L’équipe du Musée Angewandte Kunst a développé une extension de l’exposition qui traite explicitement du phénomène de la mode musulmane contemporaine dans les pays de langue allemande. Vous pourrez donc découvrir en allant voir cette exposition des créations de designers Naomi Afia (Vienne), Feyza Baycelebi (Berlin/Istanbul), Imen Bousnina (Vienne) and Mizaan (Mannheim).

 

Share on:

You might also like