Catherine Petitgas

Art Paris Art Fair met en lumière les femmes artistes d’Amérique Latine

Là où le soleil brûle la peau : la présence des femmes artistes d’Amérique Latine à Art Paris Art Fair 2019, une réflexion…

“ no son todas las que están, ni están todas las que son ”
Anna Bella Geiger (Brazil, b. 1933) História do Brasil: Little Boys and Girls, I, II, III, 1975 Photocollage copy on photographic Endora Paper 21 x 20 cm (34 x 33 cm framed) Courtesy Mendes Wood DM, Collection Catherine Petitgas - artskop
Anna Bella Geiger (Brazil, b. 1933) – História do Brasil: Little Boys and Girls, I, II, III, 1975
Photocollage copy on photographic Endora Paper 21 x 20 cm (34 x 33 cm framed)
Courtesy Mendes Wood DM, Collection Catherine Petitgas

Pour l’édition 2019 Art Paris Art Fair présente en parallèle « Étoiles du Sud », une exploration de l’art de l’Amérique Latine, de 1960 à nos jours, proposant un parcours historique et contemporain de la production artistique de ce territoire aux multiples tensions : artistiques, politiques, existentielles.

Cet article se veut une réflexion sur les particularités de l’art de l’Amérique Latine réalisé par des femmes. D’un point de vue historique, contemporain, social et mercantile.  Des échanges avec Valentina Locatelli, curatrice, et Catherine Petitgas, collectionneuse, ont été essentiels pour la conception de cette réflexion.

Sol Calero (Venezuela, b. 1982) Frutas Friestail 8, 2018 Acrylic and oil stick on canvas 150 x 120 cm (C) Aurélien Mole Courtesy Crèvecoeur, Collection Catherine Petitgas - artskop
Sol Calero (Venezuela, b. 1982) Frutas Friestail 8, 2018
Acrylic and oil stick on canvas 150 x 120 cm (C) Aurélien Mole
Courtesy Crèvecoeur, Collection Catherine Petitgas

Tupi or not tupi

Être, en Amérique Latine, se déploie en deux sens : d’un côté la définition d’une essence et de l’autre, un état changeant. Cette dualité du premier verbe apporte une fluidité chère à la production artistique de ce territoire où le soleil brûle – parfois – la peau. Une tension entre être et ne pas être, entre essence et corps, suggestion et affirmation, entre tupi or not tupi(1) ?

Ce soleil qui brûle – parfois – la peau, nous oblige à être en constant mouvement, à créer des stratégies de vie, des refuges. Nous incite – parfois – à regarder ailleurs pour bâtir notre propre territoire. Les femmes latino-américaines ont participé activement à l’acte de sculpter l’art du XXe siècle. Inversement, on a gardé une partie de ces artistes dans l’ombre. Cela s’explique en partie par un sexisme latent, des idées conservatrices qui gagnent du terrain et se diluent avec lenteur, mais également à cause d’un système qui définit la qualité de l’oeuvre par la visibilité et le succès de l’artiste.

Artiste femme / Femme d’artiste

Au début du siècle quelques figures poussent leurs branches vers la lumière telles Tarsila do Amaral, Anita Malfati et Frida Kahlo pour ce qui est des avant-gardes modernistes. Lygia Clark pour les néo concrétistes. Lygia Pape et Ana Mendieta pour les médiums divers. Continuellement perçues, pour certaines d’entre elles, comme femme d’artiste et non pas comme artiste femme.

Ces noms aujourd’hui imprimés dans les livres d’histoire de l’art (certains, pas tous – les noms, et les livres) synthétisent une constellation d’artistes qui méritait d’être également prises en compte comme des étoiles et non pas des satellites autour d’autres astres.

Afin d’établir un lien avec la production d’aujourd’hui, nous avons échangé avec la curatrice Valentina Locatelli, basée en Suisse et responsable pour Étoiles du Sud. Locatelli pense que“ l’art contemporain joue un rôle important dans l’image que nous avons à l’étranger de l’Amérique Latine. Premièrement d’un point de vue de la découverte, car la richesse de la production est impressionnante et mérite d’être vue”, mais précise qu’il ne s’agit ici que d’un “portrait de 8 femmes artistes” en faisant référence à la présentation en parallèle d’une sélection de la collection de Catherine Petitgas, nommée Amazones et qui présente les travaux de femmes originaires des pays du bassin amazonien, essentiellement du Brésil (Beatriz Milhazes, Maria Nepomuceno, Rivane Neueunschwander, Lygia Clark, Anna Bella Geiger), Colombie (Liliana Angulo, Beatriz González, Nohemí Pérez), Pérou (Sandra Gamarra, Ximena Garrido-Lecca), Venezuela (Lucia Pizzani et Sol Calero).

Maria Nepomuceno Untitled (large floor piece), 2013 Ropes, fiberglass, resin and beads 135 x 216 x 238 cm Collection Catherine Petitgas
Maria Nepomuceno Untitled (large floor piece), 2013 – Ropes, fiberglass, resin and beads 135 x 216 x 238 cm Collection Catherine Petitgas

Lieu de parole / Place of speech

Pour Locatelli, réaliser le commissariat d’une exposition sur les scènes artistiques en Amérique Latine étant elle même née et basée en Europe ne lui semble pas être une barrière ni créer des tensions dans une période où les questions liées au lieu de parole (du terme place of speech) se montrent de plus en plus présentes. “A mon avis cela apportera une grande richesse pour les deux côtés; un dialogue entre les cultures très intéressant. Ce sera l’occasion d’étendre les horizons, les points de vue”. D’autant plus que cette sélection fut établie “en constante concertation avec les artistes et les galeries” affirme la curatrice.

Politesse des matériaux / Poétique de l’improvisation

Catherine Petitgas, collectionneuse, historienne de l’art et mécène, présente une sélection de sa collection dans l’exposition nommée Amazones, du fait que ces 8 femmes partagent le fait d’être originaires de pays du bassin amazonien. Pour Petitgas, au fur et à mesure que la collection se développe, un grand travail de recherche se montre crucial. “Je travaille sans conseiller. Toutefois,  je trouve que pour être un collectionneur il est essentiel d’être bien informé. Il est un connaisseur au sens de connaître, d’être au courant. Cet effort de recherche et réflexion est nécessaire”.

Ce rapport à une connaissance mise en pratique, active et sensible, dialogue justement avec les particularités de la scène contemporaine en Amérique Latine, selon la collectionneuse. La particularité de ces angles de vue (ou d’attaque ?) dépasse les frontières. Premièrement, “Il existe une résonance en dehors de l’Amérique Latine. Nous trouvons des megacities, mégalopoles en Amérique mais également en Asie du sud-est. Ce chaos urbain, les inégalités, les richesses exacerbées, cela crée une forme d’art particulière”, explique Petitgas.

“Une forme d’art entre l’Arte Povera et le ready-made. On remarque une certaine politesse envers le contexte social. Une politesse issue du choix des matériaux. On ne va pas créer une oeuvre en or, cela n’est pas éthique”. Cette capacité de trouver de la poésie dans le chaos est très présente dans la production latino-américaine. La question de l’humeur trouve aussi sa place de manière pionnière chez ces artistes; serait-il une stratégie pour sublimer les réalités difficiles ? Être volontairement sonso, sournois, artificiel, comme suggère l’écrivaine brésilienne Clarice Lispector, serait-il une échappatoire face à une violence latente du réel ? Etablir une poétique de l’improviste, un mode d’emploi de la gambiarra(2) ?

Beatriz de Milhazes – Ferias de Verão, 2005. Acrylic on canvas, 149 x 395 cm. Courtesy collection of Catherine Petitgas

Création ou rupture de lien ?

La scène moderne et contemporaine colombienne est pour Catherine Petitgas un cas d’étude. Plongé dans une crise aiguë et fracturé depuis l’intérieur, le pays trouve un terrain d’entente grâce en partie à l’art. L’artiste Doris Salcedo propose par exemple un travail de mémoire très puissant. Beatriz Gonzales est aussi responsable pour ce grand travail de mémoire et (re)construction de liens : “l’art raconte ce que l’histoire ne peut pas”, dit souvent l’artiste. Une mémoire pas forcément connectée à la nostalgie, mais étroitement liée au présent.

Aujourd’hui, devoir présenter une exposition axée sur les femmes, pour que ces dernières puissent être exposées est, dans une certaine mesure, tragique. On ne dirait jamais, en faisant référence à une exposition quelconque, qu’il s’agit “d’artistes hommes du Brésil, de la Chine, du Cameroun”. En revanche, cet aujourd’hui incite à prendre ce tragique brûlant dans les mains et aller du devant. Exposer les fractures d’un système qui, certes, est en train de se réinventer, est nécessaire. Pour créer un lien étroit entre arte e vida. Là où le soleil brûle la peau, là où il fait chaud même dans l’ombre,

Remerciements : Catherine Petitgas, Valentina Locatelli, Talisson Melo, Rafaela Sales, Joao Vitor Maturana.  

 Art Paris Art Fair du 4 au 7 avril 2019 – Grand Palais, Paris (France).
*Pour plus d’informations, veuillez consulter les liens suivants :
→ Art Paris Art Fair 2019 entre découverte et diversité
→ www.artparis.com

_____________________________

(1)Tupi or not Tupi, extrait du “Manifeste Anthropophage”, publié en 1928 par Oswald de Andrade. Tupi est le nom d’un des peuples autochtones habitant au Brésil avant l’arrivée des Portugais.
(2) Mot du portugais brésilien qui désigne une solution improvisée mise en place  lors qu’on essaye de fixer un objet sans tous les outils nécessaires. Comme utiliser du chewing gum pour faire tenir droit le cadre d’un tableau.

_____________________________

Pour aller plus loin : 
  • Radical Women: Latin American Art, 1960-1985 – Cecilia Fajardo-Hill, Andrea Giunta (2017)
  • Contemporary Art in Brazil – Hossein Amirsadeghi . Catherine Petitgas (2012)
  • Contemporary Art in Colombia – Hossein Amirsadeghi . Catherine Petitgas (2016)
  • Critica feminista en la teoria e historia del arte, genero y feminismo : perspectivas desde américa latina – Andrea giunta

Share on:

À propos de l’auteur

Danilo Lovisi

Né au Brésil, parmi les montagnes de l’état du Minas Gerais. Loin de la mer, ce sont les lignes des monts environnants qui l’ont poussé à débuter une pratique artistique axée sur l’écriture poétique. Vivant à Paris depuis cinq ans, la relation intime avec sa langue maternelle s’est transformée au profit d’une pratique artistique hybride entre performance, écriture et vidéo. Par ailleurs, en tant que curateur, il s’intéresse aux rapports entre l’organique, la mémoire (individuelle, collective, vraie ou fictionnelle) et la place du regardeur face aux œuvres. Diplômé en Histoire de l’Art et Médiation culturelle de l’Ecole du Louvre, la transmission a une place cruciale au sein de sa démarche artistique et curatoriale. Vit et travaille à Paris.

You might also like