Pierre Loos, un portrait aux enchères

Le grand marchand et voyageur Pierre Loos, a installé depuis plusieurs décennies sa galerie Ambre Congo dans le quartier des Sablons à Bruxelles. Fondateur de la foire BRUNEAF, observateur avisé du marché, il s’apprête à céder une partie de sa collection chez Piasa.

 

Casimir Zagourski (1883-1944), Danseuse Ya-Koma, Congo Belge
Casimir Zagourski (1883-1944), Danseuse Ya-Koma, Congo Belge
C

’est l’itinéraire d’une vie qui va bientôt passer aux enchères. Celle de Pierre Loos, marchand d’art tribal, collectionneur et voyageur. Trois ventes en tout, qui auront lieu les 17 et 18 septembre prochain, chez Piasa. Pour Christophe Person, directeur du département d’art africain contemporain de la maison de ventes, « il y aura un avant et un après. » La première vacation sera consacrée aux arts ethnographiques et premiers, le cœur de métier de Pierre Loos. Une dispersion importante, près de 500 lots, plutôt abordables dans leurs estimations. Vont se succéder sous le marteau de nombreux appuie-têtes, les tissus kuba du Kassaï que Pierre Loos a largement contribué à mettre en lumière, des statuettes votives… La seconde vacation, plus originale, consiste en la cession d’un fonds photographique. Celui que Pierre Loos a constitué autour de la personne de Casimir Zagourski, un Polonais, photographe dans l’aviation de l’armée impériale avant de fuir en 1924 à Léopoldville sous la pression des Rouges. Là-bas, arpentant la région en Ford T, il a photographié les gens et la vie tels qu’ils étaient, sans atours. Ce stakhanoviste de la photo a réalisé 1.600 clichés parmi lesquels il en a sélectionné 440, qu’il a édités en photo format carte postale ou en plus grands tirages uniques, une cinquantaine.

Casimir Zagourski (1883-1944) Femme portant une coiffe, Estimation : 1200 / 1800 €
Casimir Zagourski (1883-1944) Femme portant une coiffe, Estimation : 1200 / 1800 €

Les tirages à la vente sont rassemblés en une centaine de lots : les ensembles d’époque de petits formats sont estimés entre 400 et 600 €, les grands tirages entre 1.000 et 3.500 €, quelques-uns dépassant ces estimations de par leur pedigree d’expositions. Le clou de la vente est un « Album à l’éléphant », le « grand œuvre de Casimir Zagourski », d’après Pierre Loos. Des albums pensés comme des objets de luxe, créés sur commande dans lesquels le photographe réunissait un grand nombre de photos — plus de 400 dans celui mis en vente. Une estimation entre 10 et 15.000 €.

Et puis, il y a la troisième vente, peut-être la plus attendue. Depuis les années 1980, Pierre Loos a constitué une collection unique d’art moderne congolais (de 1920 à 1960), facilité par sa proximité avec les milieux coloniaux belges, qui ne voyaient souvent dans ces peintures que l’expression naïve d’Indigènes. C’est un condensé de cette collection, dont on a pu constater l’étendue pendant l’exposition « Beauté Congo » organisée par André Magnin à la fondation Cartier en 2014

Jean-Bosco Kamba (né en 1939) Sans titre, 1958, Estimation: 8000 / 12000 €
Jean-Bosco Kamba (né en 1939) Sans titre, 1958, Estimation: 8000 / 12000 €

Dans le sous-sol de la fondation, la séquence consacrée à l’art moderne congolais était constituée à 80 % de prêts provenant de la collection Loos. « C’est la première fois qu’en art moderne africain, on met à la vente une collection cohérente et extensive, se réjouit Christophe Person. C’est un test intéressant. Les pièces sont d’une belle qualité de conservation, d’une esthétique très forte. Dans le cadre de l’engouement que l’on constate pour l’art du continent africain, on peut espérer que cela fonctionne très bien, d’autant que les estimations sont plutôt abordables. » Les tableaux mis en vente, de Pilipili Mulongoy, Bela, Raphaël Kalela, Sylvestre Kaballa ou Mwenze Kibwanga proviennent majoritairement de l’atelier Desfossés.

Pilipili Mulongoy (c. 1914-2007) Sans titre, Estimation : 5000 / 7000 €
Pilipili Mulongoy (c. 1914-2007) Sans titre, Estimation : 5000 / 7000 €

Pour l’histoire, Pierre Romain-Desfossés était un ancien officier de la marine française, qui a fondé un atelier, surnommé le Hangar, où il a mis à disposition des locaux les moyens de s’exprimer, à l’abri des influences occidentales. « Un mélange d’art brut et d’art naïf », sourit Pierre Loos. Les estimations vont de 4.000 à 15.000 € environ. « Dans ces toiles, on retrouve un aspect volontiers narratif, liées à l’histoire des hommes, à leurs coutumes, explique Christophe Person. On y perçoit aussi une dimension éducative : des scènes de pêche, de pères qui enseignent la chasse à leur fils. C’est un art ancré dans son temps, un témoignage. » Le clou de la vente ? Un paravent réalisé à six mains par Pilipili Mulongoy, Bela et Raphaël Kalela, estimé entre 150 et 200.000 €. « Je ne connais pas d’équivalent, déclare un Christophe Person admiratif.

Pilipili Mulongoy (c. 1914-2007), Bela (c. 1920- c. 1968) et Raphaël Kalela, Sans titre, 1952 ; Estimation : 150000 / 200000 €
Pilipili Mulongoy (c. 1914-2007), Bela (c. 1920- c. 1968) et Raphaël Kalela, Sans titre, 1952 ; Estimation : 150000 / 200000 €

Les motifs sont superbes, et cette pièce peinte, donc plate, a un aspect tridimensionnel, sculptural assez fascinant. Je pense qu’elle ferait bonne figure dans une collection d’art classique ! » Les motifs sont quelque chose dans ces tableaux. Ceux de Kibwanga, Bela ou Kaballa semblent emprunter au textile, à la maille, dressant des ponts avec d’autres techniques. « Ces fonds ont influencé de nombreux artistes, je pense à JP Mika par exemple. C’est un art naïf qui inspire beaucoup d’artistes, remarque Christophe Person. D’ailleurs, j’espère que cette vente aura un impact, et permettra de sortir de l’ornière qui consiste à ne voir dans les productions africaines du début et du milieu du XXe que des fétiches, des statues cultuelles, etc.» Rendez-vous pris.

Informations pratiques

« Arts Premiers et Ethnographie », 17 septembre 2018
« Art Moderne Africain », 18 septembre 2018
« Photographies de Casimir Zagourski », 18 septembre 2018

PIASA
118, rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris

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