‘Three Balloons’ de K.Skits symbolise le don de la vie au-delà du trauma
Dans sa série multimédia, l’artiste autodidacte K.Skits utilise des ballons pour exprimer sa quête de joie et de liberté au cœur de la difficulté, écrit Sandiso Ngubane
Dans le documentaire Paris is Burning de 1990 sur la culture des bals de la ville de New York, l’un des protagonistes parle du fait d’être noir et gay aux États-Unis. « Je me souviens que mon père m’a dit qu’il y avait trois obstacles à franchir dans ce monde », dit-il. « Chaque homme noir en a deux : être noir et être un homme. Tu es noir, tu es un homme et tu es gay. Si tu veux faire ça, tu vas devoir être plus fort que tu ne l’as jamais imaginé. »
Il en va de même pour les homosexuels noirs du monde entier. Pour échapper à la réalité de ce à quoi on est confronté dans le monde – en particulier le racisme et l’homophobie – il faut parfois se comporter d’une manière qui vous rende plus « acceptable », comme le dit l’artiste K.Skits.
Ce jeune homme de 20 ans originaire du township d’Alexandra, au nord de Johannesburg, a récemment présenté une œuvre intitulée The Three Balloons (Trois ballons) sous les auspices de l’incubateur « Bubblegum Invites » du Bubblegum Club. Cette initiative a été mise en place par le magazine culturel en faveur des jeunes afin de soutenir les artistes émergents en leur fournissant un espace de travail et des ressources nécessaires pour donner vie à leur travail.
Intitulée « Kgotlelelo Bradley Sekiti », la série de K.Skits explore « les traumatismes générationnels et permanents des personnes noires, les expériences quotidiennes des personnes noires et homosexuelles ainsi que leur capacité à accepter le don de la vie par la célébration ».
« Mon expérience en tant que personne noire et homosexuelle : il y a beaucoup de traumatismes, mais d’une manière ou d’une autre, même avec ces traumatismes, nous sommes capables de trouver des raisons de faire la fête. C’est ce que représentent les ballons », explique-t-il. « C’est un symbole de célébration. Les Noirs sont des artistes incroyables. C’est ainsi que nous trouvons la joie et la guérison. Nous partageons cela avec le monde, mais au-delà de ça, ce travail consiste à reconquérir mon identité. »
L’artiste ajoute que, trop souvent, les artistes noirs sont contraints de « jouer aux noirs » pour correspondre aux attentes et plaire au regard des Blancs.
« Ce que nous faisons doit être acceptable. Il nous faut réfléchir à la façon d’être noir tout en faisant en sorte que cela reste acceptable, car nous existons dans un monde qui ne nous aime pas. Pour moi, il s’agit d’être ouvertement noir sans avoir à donner une représentation de ce qu’est attendu d’une personne noire. »
Dans les images qui accompagnent le film, dont certaines ont été tournées sur écran vert et rendues sur un fond rouge, K.Skits porte des ballons qui lui couvrent le visage. Sur d’autres, il porte une coupe afro en signe de représentation de la négritude. « Sur certaines images, je suis tout en blanc, j’ai l’air propre. Il s’agit de la palatibilité à laquelle nous sommes contraints, mais cela interagit également avec mon expérience d’homosexuel, si bien que je suis à moitié nu. Souvent, en tant qu’hommes noirs homosexuels, nous sommes considérés comme de la viande. Lorsque nous ne sommes pas sexualisés, on nous garde pour avoir de l’influence ou nous devons constamment éduquer. D’une manière ou d’une autre, on nous enlève, s’approprie et exploite notre culture. Les haricots (dans le même tableau) symbolisent le fait que certains considèrent la négritude comme un produit que l’on peut se procurer sur une étagère. C’est à vous de choisir comment consommer ce produit pour qu’il vous soit appétissant ».
L’oeuvre Three Balloons arrive à un moment où le cycle des actualités est rempli de rapports de crimes haineux perpétrés contre des homosexuels noirs dans toute l’Afrique du Sud. Sphamandla Khoza, 24 ans, a été poignardé à mort à Ntuzumu, près de Durban, et son corps a été retrouvé dans un fossé près de son domicile ; dans la province du Cap oriental, Andile « Lulu » Nthulela, 40 ans, a disparu pendant une semaine avant que son corps ne soit retrouvé enterré au domicile d’un suspect ; dans le Gauteng, le corps de Nathaniel Spokane a été retrouvé sans vie, avec des coups de couteau dans la poitrine.
Selon les rapports, il ne s’agit là que de trois cas parmi tant d’autres, au moins un cas est signalé chaque mois depuis un an. Il est clair qu’en dépit de la célèbre reconnaissance par le pays des droits des homosexuels tels qu’ils sont inscrits dans la Constitution, la réalité sur le terrain pour la plupart des homosexuels noirs reste, au mieux, sombre. Il est difficile de considérer le travail de K.Skits en dehors de ce contexte.
In ‘Mmele’ one of the videos from the series, K.Skits can be seen vogueing – a type of dance that is synonymous with New York City’s ball culture as seen in Paris is Burning. ‘Mmele’ means body in the artist’s native Sepedi language and the vogueing, drawn straight out of Paris is Burning, is characterised by hand gestures and body movements the artist sees as an apt depiction of liberation and the conjuring of alternative universes where his emancipation is not tethered to any particular gaze outside of his own.
Dans Mmele, l’une des vidéos de la série, on peut voir K.Skits en train de faire du « Voguing » – un type de danse synonyme de la culture des bals New Yorkais, comme on peut le voir dans la documentaire Paris is Burning. Mmele signifie « corps » dans la langue maternelle de l’artiste, le sepedi, et la danse « Voguing », tirée directement de Paris is Burning, est caractérisée par des gestes des mains et des mouvements du corps que l’artiste considère comme une représentation appropriée de la libération et de la conjuration d’univers alternatifs où son émancipation n’est pas liée à un regard particulier en dehors du sien.
La scène du bal queer, qui inspire les idées de K.Skits sur la libération, est devenue populaire dans le monde entier en tant qu’exutoire pour les jeunes queer en quête d' »espaces de liberté » au sein desquels ils peuvent exprimer leur homosexualité en dehors des normes hétéro-patriarcales de la société moderne. Ils se travestissent et participent à des concours de danse devant un public majoritairement homosexuel, afin d’échapper aux normes qui rendent souvent leur identité et leurs expressions indésirables – ou désagréables.
Comme le fait remarquer l’artiste, le rejet de l’homosexualité au sein des communautés noires et de la société en général rend non seulement difficile pour beaucoup d’entre eux d’exister sans crainte, mais les prive aussi de leur identité. Ce qui oblige souvent les jeunes homosexuels à trouver d’autres communautés et d’autres moyens de célébrer leur identité.
« La danse traditionnelle ne fait pas partie de mon expérience et beaucoup de sous-cultures noires ne sont pas pertinentes pour mon expérience », explique l’artiste à propos de sa décision d’utiliser le vogueing comme expression de cette identité plutôt que, disons, une danse africaine traditionnelle ou le minno was setšo (musique africaine indigène). « Quand j’étais au lycée, j’ai découvert Paris is Burning et je l’ai regardé en boucle pendant une semaine parce que je m’identifiais à ce désir de libre expression. J’ai compris à quel point les personnages du film étaient libres lorsqu’ils se trouvaient sur la piste de danse, mais j’aime aussi considérer le monde comme une scène. On peut créer son propre univers alternatif à travers l’art et la performance. »
Artiste autodidacte, K.Skits a débuté la danse dès l’âge de huit ans. Après quelques années de sport à l’école, il rejoint les majorettes – et continu à danser pendant toute sa période de lycée. Après avoir obtenu son diplôme, il effectue un stage dans les médias sociaux à l’université Witwatersrand. Par la suite, K.Skits s’est intéressé à la photographie et a commencé à expérimenter l’autoportrait et à réaliser de courtes vidéos de danse avec son smartphone.
L’oeuvre Three Balloons marque une expansion continue de cette expression. Il ajoute, à propos de son intérêt pour l’art et de sa pratique multidisciplinaire en constante évolution, qui inclut également le travail de DJ : « L’art est pour moi quelque chose qui me permet de m’exprimer et de créer des univers inexistants. Il me permet de communiquer d’une manière différente, en mes propres termes et de créer une autre version de moi-même. »
Agence African Art Features financée par le Conseil national des arts d’Afrique du Sud.