Meriem Berrada, Directrice artistique du MACAAL ( Musée d’Art Contemporain Africain Al Maaden) ©Omar Tajemouati

Entretien avec Meriem Berrada: Directrice Artistique du MACAAL

Challenges artistiques et management culturel d’un musée au sein d’un écosystème

Exposition Material Insanity au MACAAL. © Omar Tajemouati. Entretien avec Meriem Berrada: directrice artistique du MACAAL
Vue de l’exposition Material Insanity au MACAAL. © Omar Tajemouati

Artskop3437 s’est entretenu avec la directrice artistique du MACAAL: Meriem Berrada. Ce fût l’occasion d’échanger autour des challenges du métier et de sa vision du musée. Selon elle, « chaque musée devrait avoir le rôle que lui offre son territoire, dont ses publics ont besoin et répondre aux réalités de son écosystème ». Retour sur l’interview.

Meriem Berrada, pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, en quoi consiste votre mission en tant que Directrice artistique du MACAAL ?

Assurant la direction des projets culturels de la Fondation Alliances, j’ai été tout d’abord en charge du développement du MACAAL à travers l’élaboration de son projet scientifique et culturel. Depuis son ouverture en 2016, je m’occupe de la programmation des expositions – parfois leur commissariat -, de la création des contenus ainsi que de la conception du programme de médiation. J’assure également la direction de l’ensemble des éditions et publications du musée puisque nous faisons tout en interne. Je veille également à la mise en œuvre de toutes ces actions en manageant les équipes. 

Aussi, ma mission relève de la stratégie et du développement en termes de communication mais également de mise en place de programmes structurants pour le MACAAL.

Pouvez-vous nous en dire plus sur certains des projets que vous avez mis en place depuis la création du MACAAL ?

En 2017, j’ai conçu le MACAAL Lab comme un espace d’expérimentation visant à valoriser et sensibiliser sur les pratiques contemporaines: une salle du musée est spécifiquement dédiée à l’œuvre d’un artiste dont la pratique inclut l’utilisation des nouveaux médias (son, vidéo, installation). Ceci, accompagné d’un programme de workshops gratuits, en présence de l’artiste autour du processus de création de l’œuvre, de sa réalisation et de l’utilisation des nouvelles technologies dans l’art.

Plus récemment, nous avons pu concrétiser un projet de transmission que j’avais à cœur, le MACAAL Bootcamp. Destiné à renforcer les compétences des agents culturels travaillant spécifiquement dans le secteur de l’art contemporain sur le continent. Ce programme de formation intensive s’est tenu pour la première fois en janvier dernier. Combinant workshops et masterclass sur les savoirs fondamentaux du secteur, animés par des mentors aux parcours inspirants, cette formation inédite en management culturel appliqué à la réalité de nos écosystèmes participera je l’espère à doter nos institutions de leaders et non de simples exécutants.

Première promotion Du Bootcamp - programme de formation des leaders culturels au MACAAL. © MACAAL Entretien avec Meriem Berrada: directrice artistique du MACAAL
Première promotion du Bootcamp 2020 – programme de formation des leaders culturels au MACAAL. © Ayoub El Bardii

Comment construisez-vous une exposition ? Comment choisissez vous ce qui va ou peut être présenté dans le musée (thématiques, pratiques artistiques, artistes, géographies) ? 

Avec un rythme d’exposition biannuel, notre programmation est indissociable de l’âge du musée. Si les premières expositions visaient à ancrer le MACAAL dans sa dimension panafricaine, en montrant les œuvres présentes dans la collection des mécènes, la sélection s’est peu à peu resserrée autour de « projets » à part entière en accordant une place particulière à la commission d’œuvres. L’ouverture du MACAAL Résidence a également permis de faire aboutir davantage de productions d’œuvres car, outre les quatre lauréats annuels du programme de résidence, nous y accueillons les artistes présentés dans le cadre des expositions du musée.

Nous ne nous imposons jamais de thématique mais restons en lien avec notre environnement et l’actualité, sans s’éloigner de l’ADN du musée. C’est avant tout le projet d’un collectionneur, d’une famille qui a souhaité mettre sa collection à disposition du grand public et il m’a toujours semblé important de conserver cet esprit dans l’accomplissement de ma mission. Pour beaucoup de publics, la réalité de l’art contemporain africain était une découverte. Souvent réduite à une figuration primitive et colorée, il était nécessaire de montrer la diversité et la qualité de l’expression artistique et ses divers médiums, issue des quatre coins du continent (Essentiel Paysage, E-mois autobiographie d’une collection, Second Life), mais aussi opérer des rapprochements notamment à travers l’exposition Ecritures Esotériques l’alphabet de Frédéric Bruly Bouabré (Côte d’Ivoire) a pu dialoguer avec celui de Houssein Miloudi (Maroc).

« Je suis convaincue qu’un projet, équipement ou toute action doit être cohérent avec le contexte dans lequel il s’inscrit. (…), l’environnement peut offrir des opportunités de dialogue et de connaissance uniques, dont la création artistique est à mon sens l’un des véhicules les plus pertinents.

Meriem Berrada, directrice artistique du MACAAL

Aussi, généralement les expositions de rentrée sont davantage tournées vers la collection et nos plus récentes acquisitions. Pour les expositions de février, que nous inaugurons au moment de la foire 1:54, nous invitons un commissaire extérieur qui ne s’appuie pas de manière systématique sur le fonds existant. 

Nos expositions sont pluri-médium, excepté Africa is no island qui était dédiée à la photographie et qui était en soi une exposition manifeste car elle invitait à voir l’Afrique dans sa complexité et sa diversité et non pas comme un bloc homogène. 

Mohamed El Baz, Africa is no island au MACAAL. Entretien avec Meriem Berrada: directrice artistique du MACAAL
cVue de l’oeuvre de Mohamed El Baz, Love Suprême, 2007 de la série Bricoler l’Incurable
Photographie couleur, néons, bois et peinture murale. 180 x 120 cm. Exposition Africa is no Island au MACAAL © Mohamed El Baz and MACAAL. © Saad Alami

Bien avant votre poste au musée, vous avez été en charge de divers projets artistiques au sein de la fondation Alliances, fondation initiatrice de la création du MACAAL. Parmi vos nombreux projets, on peut citer la chambre claire, ce programme pour soutenir les photographes émergents d’Afrique ou le programme passerelles qui est une sorte de programme de subventions croisées combinant approche culturelle et centre social par le biais d’ateliers de sensibilisation à la création contemporaine dans les zones urbaines périphériques. Il semblerait que vous ayez apporté avec vous une certaine vision de ce que peut être un engagement culturel sur un territoire. Quelle est votre vision pour le MACAAL ? Comment voyez vous le rôle d’un Musée au 21e siècle ? 

En effet, je suis convaincue qu’un projet, équipement ou toute action doit être cohérent avec le contexte dans lequel il s’inscrit. Aussi hostile soit- il, l’environnement peut offrir des opportunités de dialogue et de connaissance uniques, dont la création artistique est à mon sens l’un des véhicules les plus pertinents.

Pour ma part, je pense que nos métiers n’ont de sens que si nous pouvons donner à voir, s’approprier, partager ce patrimoine commun avec le plus grand nombre. Evidemment la question d’un art contemporain réservé à une élite n’est pas le seul fait du continent mais les clivages y sont malheureusement plus marqués qu’ailleurs, les conditions d’accessibilité largement améliorables et vont au-delà de la question du coût ou de la géographie de l’équipement culturel. C’est pourquoi, il est primordial, chez nous plus qu’ailleurs, d’aller chercher les publics et ne pas attendre simplement qu’ils viennent à nous.

La demande est bien là et je peux vous dire qu’en six années,  je n’ai jamais fait face au moindre refus de la part des publics de participer à un programme de médiation, une visite ou un atelier que ce soit au musée ou dans les zones périurbaines dans lequel nous avons activé le programme Passerelles. A mon sens, le musée doit être le plus inclusif possible, bien évidemment connecté (notamment pour les cibles jeunes) et proposer une programmation diversifiée afin d’optimiser son attractivité. Mais encore une fois, chaque musée devrait avoir le rôle que lui offre son territoire, dont ses publics ont besoin et répondre aux réalités de son écosystème. 

Mentees en session Developing leadership, building a network avec Fatima Ezzahra Bouayad Senior Manager McKinsey Company Entretien avec Meriem Berrada: directrice artistique du MACAAL
Les mentorés en session « Développement du leadership, construction d’un réseau » avec Fatima Ezzahra Bouayad Senior Manager chez McKinsey Company. © Ayoub El Bardii

Avec de nombreux programmes tels que le bootcamp – le premier programme de sourcing et de renforcement des agents culturels africains dans le secteur de l’art contemporain et des arts visuels – ; le MACAAL Lab, les workshops, les résidences d’artistes, le ciné club, tea party, yoga festival; nous constatons que le Musée semble se positionner comme un veritable lieu de vie, plus inclusif que d’autres musées. Il invite à l’appropriation par tous. Pensez-vous que c’est la clé du futur pour les musées ?

Je pense que, malgré tout, l’art contemporain continue d’impressionner et que la principale barrière quant à l’accès au Musée reste psychologique. Je dirais que nous avons travaillé sur l’habitude de consommation de l’équipement muséal dans la vie de nos visiteurs, en les invitant à nous rejoindre pour toute forme d’occasion. Par exemple, le Couscous Friday’s est une action mensuelle qui invite différentes communautés-que nous identifions ou qui nous sollicitent pour des visites gratuites – à partager un plat synonyme de convivialité dans les jardins du musée. En faisant entrer le couscous au musée, l’on désacralise un lieu en y vivant un rituel hebdomadaire en même temps que l’on découvre la création artistique de son époque.  

A mon sens, le musée doit être le plus inclusif possible, (…). il nous a semblé plus pertinent d’en faire un véritable espace de vie, (…). Nous avons, fait le pari que les publics dits éloignés ou même avec peu d’intérêt pour l’art contemporain, (…), peuvent intégrer le musée dans leurs habitudes de consommation d’abord évènementielle et finalement culturelle.

Meriem Berrada, directrice artistique du MACAAL

Nous restons prioritairement dédiés à la promotion de l’art contemporain du continent, mais il nous a semblé plus pertinent d’en faire un véritable espace de vie, avec la possibilité d’y retrouver d’autres centres d’intérêts, peut-être plus populaires et donc plus accessibles. Nous avons, fait le pari que les publics dits éloignés ou même avec peu d’intérêt pour l’art contemporain, en découvrant le MACAAL à travers une occasion festive et gratuite (concert, cinéma en plein air) une pause thé, une session de yoga, peuvent intégrer le musée dans leurs habitudes de consommation d’abord évènementielle et finalement culturelle. Cette démarche n’est peut-être pas applicable à l’ensemble des équipements muséaux mais il me parait certain que l’inclusion est une clé essentielle.

Ftour & Art, 2019 - © MACAAL Entretien avec Meriem Berrada: directrice artistique du MACAAL
Ftour & Art, 2019 – © MACAAL

Pensez-vous que les musées sur le continent africain se doivent de construire leurs propres modèles selon des réalités locales et non pas sur des modèles occidentaux ? En d’autres termes, un musée en Afrique est-il différent d’un autre ailleurs dans le monde ? 

Je suis convaincue que chez nous plus qu’ailleurs, nous devons créer nos propres approches, et je n’utilise volontairement pas le mot « modèle ». C’est ce que nous faisons depuis le départ à la Fondation et au MACAAL, que ce soit à travers nos programmes ou nos expositions. L’importance que je donne à l’ancrage territorial, local national ou continental, les spécificités des publics sont autant de paramètres qui ne permettent pas d’appliquer des modèles existants car ils ne sont simplement pas adaptés à nos réalités et ne seraient que contre-productifs dans le travail de démystification de l’art contemporain, l’appropriation par les publics, la valorisation de la scène artistique etc.

Par exemple, nous avons récemment revu l’offre du LCC program du fait du changement de paradigme de la photographie émergente en Afrique. En effet, au moment où nous avons créé le programme en 2013 il n’existait pas une telle démarche et offrir la production d’une exposition solo avait tout son sens. Aujourd’hui les postulants au programme ont souvent déjà exposé, mais ils ont davantage des besoins de consolidation, de retour sur leur travail, de mise en réseau et le solo show n’est plus une fin en soi. C’est pourquoi nous avons privilégié de soutenir des initiatives structurantes.

Je pense que c’est une réelle force de pouvoir questionner des modèles, questionner tout court et le think out of the box fait partie de notre fonctionnement. Aujourd’hui je me rends compte que cette marge de manœuvre est un luxe, car lorsque je collabore avec des structures occidentales, je me sens frustrée par le manque de flexibilité d’esprit que s’accordent certains professionnels. Parfois, cela me semble même contre-productif dans notre métier tant cela peut neutraliser la créativité. 

Musique au Macaal. © Macaal Entretien avec Meriem Berrada: directrice artistique du MACAAL
Musique au Macaal. © Saad Alami

Ce n’est plus un scoop, depuis l’arrivée du Covid-19, le secteur artistique se trouve fortement impacté. Contraignant également les institutions culturelles à imaginer de nouveaux moyens de garder le contact avec leurs publics. Comment le MACAAL vit-il cette situation ? Quels enseignements y-aurait-il à tirer de cette expérience ? 

Pour l’instant, nous le vivons un peu comme tout le monde : virtuellement surtout. Nous maximisons donc le développement de contenus, leur accessibilité et essayons d’appréhender leur impact par le biais du digital. 

De grandes questions se posent aujourd’hui mais je crains que nous ne puissions pas tirer de conclusion pour le moment car nous ne savons quand nous pourrons rouvrir nos portes, ni dans quelles conditions. L’alternative digitale permet de continuer à exister mais il n’alimente pas à la chaine de valeur de manière soutenable.  Il est certain que le fait d’avoir réduit nos horizons aux murs de nos habitations, ne peut que nous questionner sur la pertinence de ce que nous pensions essentiel. Aujourd’hui privés de ces possibilités, il est nécessaire de repenser notre manière de faire. Pour résumer, j’irais vers un rythme moins frénétique et plus de consolidation. 

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