WELCOME TO VIOLENCE(S)

Espace d’art contemporain 14N 61W fête ses 7 ans et commence son programme d’expositions de l’année avec « WELCOME TO VIOLENCE(S) », une collection d’œuvres en réponse à la problématique de la violence par les 10 artistes martiniquais de la galerie.

L’exposition met en lumière la profondeur des pratiques artistiques, en traçant des affinités de formes et de couleurs parmi les œuvres, tout en soulignant leur capacité à basculer entre différents supports, allant du crayon à l’encre et aux huiles. En passant de l’installation à la toile ou à la photographie et inversement, ils sont capables d’extraire divers degrés d’intensité ou de subtilité de leur vocabulaire d’images associées au thème de la présentation.

Ces œuvres dégagent parfois une violence froide et latente. Parfois, une beauté déconcertante émerge. La séduction visuelle inhérente, ainsi que la concision de l’exposition, compliquent davantage la réception de leurs multiples niveaux de signification de la violence en Martinique.

Philippe ALEXANDRE dans un « un enfer du décor »

Et si la violence était une des composantes de notre culture ? Une sorte d’inéluctabilité sociale peut être légitimée par une histoire traumatisante. Une violence aux origines historiques mais également institutionnelles, structurelles, systémiques, interpersonnelles, quatre causes majeures identifiables comme favorisant la violence criminelle, accentuée par la pauvreté, et es inégalités.

Philippe ALEXANDRE Kontan wè zot, 2020, huile sur papier, 200x100cm - WELCOME TO VIOLENCE(S)
Philippe ALEXANDRE
Kontan wè zot, 2020, huile sur papier, 200x100cm


Avec 25 homicides dont 19 par armes à feu, cette île a connu, l’année qui vient de s’achever, une explosion de violence inédite. Il faut dire que sous des apparences paradisiaques tropicales se cache « un enfer du décor », décor dont je suis un des personnages et peut être aussi un des acteurs. Suis-je moi aussi touché par cet atavisme, suis-je le membre d’une société conditionnée par la violence ? Cet auto portrait se veut comme une rédemption narcissique secondaire. Je me retourne vers moi-même déçu de ne pas avoir obtenu la satisfaction de mon désir extérieur, celui, à mon tour, d’une pulsion violente que je m’interdis à cause de ma condition sociale et qui n’intègre de manière hypocrite aucune manifestation de violence.

Jérémie PRIAM et la domination judéo-chrétienne

Jérémie PRIAM, Overdogme, 2020, linogravure impression manuelle sur papier Ingres Fabriano 200g, 70x50cm, ed./4 Courtesy espace d'art contemporain 14N 61W
Jérémie PRIAM, Overdogme, 2020, linogravure impression manuelle sur papier Ingres Fabriano 200g, 70x50cm, ed./4

« Le travail proposé par Jérémie Priam explore la violence de la domination judéo-chrétienne. L’emploi de symboles forts suggère un regard critique sur le pouvoir qu’ont les institutions religieuses sur la pensée des masses.
L’estampe montre le chef de l’église catholique brandissant un crucifix surmonté d’un cerveau rouge. La figure du pape (étymologiquement « le père ») est livrée ici dans ce qu’elle a de plus solennel, parée de ses attributs qui lui confèrent autorité et pouvoir. À travers le jeu des lignes et des couleurs, c’est une figure paternelle autoritaire et sombre qui est symbolisée dans ce travail. Le pontife, qui préside l’église catholique, tient fermement un crucifix. Signe du pêché, il représente la culpabilité du sacrifice que les fidèles doivent porter et ramène à l’idée que l’homme est originellement mauvais. La perspective du pardon est entendue ici comme une aliénation du comportement approuvé par l’église et son autorité.

À la figure papale et au crucifix est rajoutée l’image d’un cerveau rouge, par opposition colorée au noir et blanc. Organe arraché à son individualité, il est placé au sommet de la croix qui devient alors un sceptre. Le cerveau en tant que siège des idées, des prises de décisions et du libre arbitre de chacun, devient propriété de l’église. Renfermant également la mémoire individuelle, le cerveau sous contrôle de la religion devient symbole de sa domination sur l’histoire collective. L’aliénation spirituelle et le contrôle sur la pensée, sont brandis sous la forme d’un trophée, une conquête de plus dans la colonisation judéo-chrétienne.

La technique utilisée, l’estampe, rend l’oeuvre reproductible et réemploie les codes de la propagande pour marquer l’empreinte des images sur la pensée. Dans ce travail, le pape et ses symboles sont identifiés clairement et l’ensemble est reconnaissable comme étant allégorique. Cette production graphique se veut être un point de vue acide sur la religion catholique. Faisant suite à une série de gravures, elle poursuit le questionnement engagé de l’artiste sur la religion, en particulier sur le territoire martiniquais où le contexte spirituel post-colonial est ambiguë. »Pauline Bonnet

Sébastien MEHAL entre collision et tragédie

L’œuvre Accident III déconstruit l’accident avec une certaine violence picturale et sonore. Dans cet espace, des scènes de collision sont sérigraphiées sur de grandes toiles aux couleurs vives, éclaboussées de peinture.

Sébastien MEHAL
Accident III, 2017, sérigraphie, peinture acrylique sur toile, 90×90 cm


Sébastien Mehal charge son geste d’une valeur curative dans ses oeuvres récentes grâce à ces éclaboussures de peintures liquides « injectées » à l’aide de grandes seringues industrielles ou médicales. Les textures lisses des premiers temps cèdent le pas à de subtils reliefs, capturant et réfléchissant la lumière tout en introduisant un effet de profondeur dans un travail de peinture et de sérigraphie très riche visuellement par la subtilité des compositions, des couleurs et des images choisies par l’artiste.

En même temps le visiteur est immergé dans une installation sonore, évoquant la catastrophe. C’est la douleur de toute une famille touchée par la tragédie – rêve de bonheur brisé – qui sous-tend cette salle.
A travers thème de l’accident de voiture, l’exposition sensibilise le public aux codes sociaux, économiques et culturels des Antilles françaises.

Nicolas DERNE « Women are not property »

Nicolas DERNE, Women are not property, 2019, tirage Piezo Pro Charbon sur papier Bright White Hahnemühle 310g, 90×60 cm. Courtesy espace d'art contemporain 14N 61W
Nicolas DERNE, Women are not property, 2019, tirage Piezo Pro Charbon sur papier Bright White Hahnemühle 310g, 90×60 cm

She left.
She finally left.
She finds the strength to say

stop”. “Stop”.

and she left.

Elle leur tourna le dos Elle se fit ce cadeau.

Adieu prison (aux) murs bleuis de coups Adieu barreaux (de) sucre d’orge
(mais) barreaux, tout de même.
Elle quitta une terre d’illusion. D’illustres mensonges l’avaient foulé Des pluies d’espoir l’avaient arrosée (Mais) des crues acides l’avaient rendue poussière.

Elle n’était plus que poussière (Une) poussière qui demandait pardon.
Pardon de n’avoir pas compris. Pardon de n’avoir pas vu venir. Pardon

d’y avoir
cru.
Pardon au miroir qui ne renvoyait plus son éclat. Elle,
pourtant femme pot-au-mitan autrefois.
Freud aurait dit hystérique.
(Mais) elle était simplement

Femme.

Gorgée d’un soleil monoï
Poussée au rythme des biguines chaloupées et des soupes de pied Au savoir-faire répété.
Répété.
Et répété, encore.
Chaque jour, elle se répétait qu’elle dirait
« stop ».

Mais derrière la mascarade De mascara,
L’âme brisée

Répète sans cesse : « Tu es une reine Sans peuple
Ni royaume.
Reine sans couronneReine d’une cour vide.
Lui répète son âme, sans cesse.
Reine
quand même,
répondit-elle, un jour.
Reine
quand même.
And then
And then she left. She finally left.

Par: Corine C. aka Saeb

Louisa MARAJO – Violence sur l’environnement

Louisa MARAJO, Soleil brûlant, 2019, tirage sur papier Bamboo Hahnemühle 290g, mine de plomb, 100x75cm. Courtesy espace d'art contemporain 14N 61W
Louisa MARAJO, Soleil brûlant, 2019, tirage sur papier Bamboo Hahnemühle 290g, mine de plomb, 100x75cm

Soleil brûlant.
Ciel Bleu,
Sable et sargasses.
Nouveaux déchets
Venus de la mer
Ou de la terre
Ils viennent de l’homme
Pour remplacer les alizés
Un ventilo en guise de cocotier

Août 2019, Ste Marie.

Pour cette exposition autour de la violence chez nous en Martinique, j’ai choisi d’aborder une violence écologique perceptible. En parcourant le Nord Atlantique à la recherche de sargasses, sur une plage de Ste Marie, j’ai trouvé ce ventilateur. Jeté dans la nature, il rentrait en relation avec les sargasses. Deux pollutions, liées à l’activité humaine et à ses excès capitalistes, qui détruisent notre environnement.

Placé sur ce tas de sargasses nauséabond, ce ventilateur est-il un appel d’air ironique ? Ces ratures graphiques par-dessus l’image, font-elles trembler cette réalité ?

Yoan SORIN « la force en action »

J’ai souvent vu des similitudes entre la percussion et la boxe, deux traditions qui partagent des qualités à la fois primitives et sublimes.
Chacune remonte aux débuts de la civilisation, la boxe étant parmi les sports présent lors des premiers jeux olympiques et le tambour comme premier instrument de musique façonné par l’homme.

Yoan SORIN
gLoves, 2018, gants de boxe brodé de grelots, 30x25x15cm

J’ai commencé à regarder les boxeurs s’entraîner comme une alternative à la performance artistique. Lors des shadows, (Expression d’entraînement qui signifie « boxer dans le vide » en imaginant un adversaire) la complexité rythmique des enchaînements me faisait de plus en plus penser à une improvisation de batteur de jazz. C’est alors qu’est né une série d’objet permettant d’écouter les coups des boxeurs.

En voulant rapprocher ces deux univers, ma volonté était aussi de créer un objet de révolte dissimulé, un double langage, à la fois ludique et violent (Violent, ici, découlant de son origine latine « vis » qui désigne d’abord « la force en action »). Welcome to violences…

Norville GUIROUARD-AIZEE

Norville GUIROUARD-AIZEE
Trust No One (Pa fè pèson’ confians), 2018, acrylique sur bois, clous, pistolet en plastique, lances-pierre, caoutchouc

Arthur FRANCIETTA entre vulnérabilité et confession

Comme les premiers mots qui précèdent l’aveu lors d’une confession intime.. L’œuvre FORGIVE MY BRUTALITY ADORE MY KIND est au point de rencontre – et de rupture – à la croisée de l’accroche publicitaire et de la confession privée.

Arthur Francietta, FORGIVE MY BRUTALITY ADORE MY KIND, 2020, Acrylic ink on canvas 591/10×372/5in-150×95cm.
Arthur Francietta, FORGIVE MY BRUTALITY ADORE MY KIND, 2020, Acrylic ink on canvas 591/10×372/5in-150×95cm.

La composition typographique tracé à l’encre, donne à lire une injonction claire : Pardonnez ma brutalité adorez ma nature. C’est une appréhension sensible des vestiges, des traces, des actes passés, voire inadmissible. Un Texte noir sur fond blanc, sobre et ordinaire pour dire « Welcome to violence ». À une époque où la banalisation de la violence semble avoir rendu toutes formes de bienveillance comme étant des signes de faiblesse, de non-virilité, s’avouer vulnérable et montrer ses limites, me semble être un acte hors du commun. L’espace de la toile présente une confession – transparente – lâche – mais ô combien banal…

Alors que l’humanité ne cesse que s’interroger sur la raison de son existence, elle semble plongée dans un état où le respect est relégué au rang de concept archaïque. Comment dès lors et dans ces circonstances affronter, contenir, voir même éradiquer la violence s’il n’y a pas d’autres alternatives que d’être aussi puissant – rapide – brutal – agressif – hostile qu’elle-même ?

Robert CHARLOTTE et la violence du jugement

La spirale infernale des violences…. Peut-on savoir où elle commence ?
Sommes-nous naturellement violents ? Pouvons-nous contrôler cette nature propre à ce que nous sommes…. Humain, ou serait-ce une possible instrumentalisation ?

Robert CHARLOTTE Spirale et désinvolture Welcome to violences
Robert CHARLOTTE
Spirale et désinvolture, 2019, photographie N/B, 36x50cm
Tirée d’une série photographique réalisée il y a une vingtaine d’années, dans les rues de Fort de France, un samedi après-midi


C’est une personne seule, chorégraphe et danseur de formation, probablement sans domicile fixe, à cette période de sa vie, se trouvant sous un abribus, qui exécute une figure, pour me raconter son histoire, avec l’espoir de retrouver le cours de sa vie. En réalisant cette photographie, toutes les craintes, toute les peurs, l’abandon que l’on peut imaginer pour soi-même, révèlent la fragilité mentale, qui anime nos êtres.
Vivant dans une société ou le jugement, le regard de l’autre, détermine et dicte nos comportements, et selon nos positions ou nos représentations sociales, pour être en accord avec cette image, il devient plus simple et léger, de rejeter, de mépriser l’autre, d’éviter son regard.
Une façon pour chacun, de se « préserver » du difficile et violent devoir de se regarder soi-même.

Bruno CREUZET – Après le chaos

Bruno CREUZET WELCOME TO VIOLENCE(S)
Bruno CREUZET
Eden tropical, installation, 2020, mix media, 200x200x70cm

Eden tropical

Un jardin synthétique où pousse une végétation synthétique dans une terre improbable (bitume ou graviers noires) qui nous renvoit à une urbanisation à outrance vestige d’une période postérieur une sorte de poste chaos le jour d’après la catastrophe comme celle que vit L’Australie, une période post Chlordécone, un monde imaginaire ou peut-être pas.

Bruno CREUZET
Bruno CREUZET
Eden tropical, installation, 2020, mix media, 200x200x70cm – print : 150x150cm

Après le chaos

Les violences sont plurielles et revêtent des formes surprenantes et parfois insidieuses une constante invariable c’est le caractère qu’à la violence à générer une souffrance ou une plaie qu’elle soit physique morale psychologique. Aujourd’hui des généticiens affirment que certaines violences pratiquées durant des siècles tel que l’esclavage et génocide seraient inscrites dans les gènes des populations ayant subits ces crimes. Une sorte de mémoire physique tel la blès connue des populations des Antilles. Blès développée dans le travail du plasticien martiniquais Christian Bertin et dans « Des dieux en exil » de l’écrivaine et psychanalyste Simonne Henry Valmore ainsi que dans l’essai « L’exorcisme de la blès » de l’universitaire Patricia Donatien.

Graffiti sur une paroi en tôle à Fort de France (NE PAS PISSER merci)
Injonction, exaspération et mise en évidence d’une carence sanitaire à Fort de France, insuffisance de toilette publique, mais aussi d’un climat social délétère révélateur d’une société qui ne prend pas en compte ses errants sans domicile et laissés pour compte, les « homeless » comme on les appelle au Nord des Tropiques. Des populations niées de la société et reléguées à la marge, auxquelles le monde associatif tente d’apporter une aide subsidiaire.

« Il serait éclairant d’observer si des formes pathologiques privilégiées de déséquilibre mental ne sont pas liées à la situation et ne témoignent pas en faveur de la « spécificité « des troubles mentaux que j’ai souligné au début de cet exposé. Nous nous demanderions si, par exemple, la violence sans cause ,les états dépressifs ,ou les délires verbaux ne sont pas une manière de « généraliser »ici les conflits pour mieux les nier ,si l’état dépressif ne correspond pas à une volonté de jamais diriger la tension vers l’extérieur ,de ne pas lui proposer un autre ennemi à « vaincre »(c’est ce que j’appelle le retirement),et si le délire verbale ne tend pas de même à « noyer » la tension, quand il devient impossible de ne pas l’extérioriser . » Le discours antillais, Edouard Glissant.

Aussi faut-il relire « Les Damnés de terre » au-delà de la période historique circonscrite où fut écrit cet ouvrage, et à la lumière de notre modernité ? Que nous donne-t-elle à voir ? La multiplication des laissés-pour-compte de la croissance, aussi bien au Sud qu’au Nord, mais aussi le renouvellement incessant de l’humiliation et de l’écrasement subjectif de tous ceux que cette même modernité désigne allègrement, face à la globalisation, comme les « sans » : sans patrie, sans territoire, mais aussi sans domicile, sans travail, sans papiers, sans droit à un espace de parole…
(Préface à l’édition de 2002 par Alice Cherki) Les damnés de la terre, Frantz Fanon.

WELCOME TO VIOLENCE(S)
19 janvier – 21 février 2020
espace d’art contemporain 14N 61W
Fort-De-France – Martinique 

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