AKAA, regards vers une Afrique plurielle

La foire AKAA revient pour la troisième fois consécutive au Carreau du Temple, du 9 au 11 novembre 2018. Tour d’horizon de cette nouvelle édition qui monte en gamme, pour répondre à la forte concurrence de sa consœur 1-54, qui a fait le pari de l’internationalisation

Cette année, pour les équipes d’AKAA, les maîtres mots, c’est l’ouverture, le dialogue, la relation. « L’évolution que nous donnons à la foire, c’est d’aller chercher un dialogue au-delà de l’Afrique, dans le Sud global, annonce Victoria Mann, la fondatrice du salon. C’était déjà dans notre ADN, promouvoir les artistes qui créent un dialogue entre l’Afrique et le reste du monde, notamment à travers les artistes issus des diasporas, mais nous voulons approfondir cela, dresser une nouvelle cartographie de l’art contemporain, en sondant les liens de l’Afrique avec l’Asie, l’Amérique latine, etc. »

Victoria-Mann. Founder director of the AKAA (Also Known As Africa) Fair© Charlélie Marangé.
Victoria-Mann. Founder director of the AKAA (Also Known As Africa) Fair© Charlélie Marangé.

Tout cela comme pour souligner qu’une identité n’est pas reliée à un territoire, mais aux relations que ses acteurs y entretiennent, entre eux et avec l’ailleurs, les ailleurs. Un projet jugé fourre-tout par certains, mais moderne au fond. On sent, en écoutant Victoria Mann, poindre les réflexions d’un Édouard Glissant sur la créolisation du monde. « Le monde se créolise, c’est-à-dire que les cultures du monde mises en contact de manière foudroyante et absolument consciente aujourd’hui les unes avec les autres se changent en s’échangeant à travers des heurts irrémissibles, des guerres sans pitié mais aussi des avancées de conscience et d’espoir qui permettent de dire – sans qu’on soit utopiste, ou plutôt, en acceptant de l’être – que les humanités d’aujourd’hui abandonnent difficilement quelque chose à quoi elles s’obstinent depuis longtemps, à savoir que l’identité d’un être n’est valable et reconnaissable que si elle est exclusive de l’identité de tous les autres êtres possibles », écrivait-il dans son Introduction à une poétique du divers (1995).

On trouvera ainsi le travail de Kyu Sang Lee, photographe coréen vivant entre Berlin et Le Cap, mais aussi d’autres artistes qui ne sont pas strictement issus de l’Afrique ou de ses diasporas. Le stand de la gallerois Vallois accueillera des artistes cubains, Jorge Luis Miranda Carracedo et Daldo Marte notamment, à travers un projet curatorial intitulé « Benin / Cuba ». « On est à la recherche de ponts et de confrontations entre les régions », observe Victoria Mann. Autre « statement » à ne pas manquer, celui de la galerie ARTCO. « Unleashed » est un projet à quatre mains entre le célèbre artiste sud-africain Roger Ballen, photographe des gueules cassées et des laissés pour compte, et le dessinateur Hans Lemmen — exposé au Musée de la Chasse à Paris l’année dernière, et approfondi par les deux artistes depuis. Tout cela doit permettre d’éviter « l’effet magasin » (un rassemblement hétéroclite d’œuvres, sans lien entre elles si ce n’est leur destination, le salon d’un collectionneur) qui concerne de plus en plus les organisateurs de foire, et consterne certains visiteurs. « On ne prétend pas renouveler le système des foires concède tout de même Victoria Mann, plutôt proposer un regard sur des scènes artistiques, créer une ligne éditoriale que nous affinons avec le temps, perceptible par nos visiteurs. »

© Roger Ballen - Courtesy ARTCO Gallery. AKAA foire d'art contemporain africain.
© Roger Ballen – Courtesy ARTCO Gallery

Dans AKAA Underground – une foire peut-elle sincèrement créer un espace « underground » ? – , carte blanche sera donnée à Dalida D. Bouzar. « C’est la continuation d’un projet entamé Dakar, un salon de peinture inspiré par les ateliers de photo sénégalais, comme ceux de Sidibé ou Keïta, pour voir le lien social qu’ils peuvent créer dans la rue, explique Victoria Mann. Cette nouvelle version baptisée Studio Paris couvrira de portraits les murs de l’espace Underground au fil de la foire. » L’ouverture concernera aussi la programmation d’AKAA. Pas uniquement de l’art visuel, mais aussi de la musique. Ainsi on pourra ainsi assister à des concerts de Mehdi Nassouli, Tao Ravao ou La Wey Segura.

Fatoumata Diabate Bala na Djolo, 2014, Inkjet print on Hahnemuhle FineArt Baryta 325, Edition 1/10 40 x 60cm, Courtesy 50 Golborne. AKAA foire d'art contemporain africain.
Fatoumata Diabate Bala na Djolo, 2014, Inkjet print on Hahnemuhle FineArt Baryta 325, Edition 1/10 40 x 60cm, Courtesy 50 Golborne

Tous ces projets visent à dynamiser la foire, l’ancrer dans le paysage parisien et à gérer la concurrence avec la dynamique 1-54. En passant, rappelons que la première édition d’AKAA n’avait pas pu avoir lieu en 2015, à cause des attentats. Les frais des stands avaient été remboursés aux galeries. « Nous nous remettons toujours de cette annulation, il y a trois ans. Ça a été un choc financier important. Mais nous avançons. Pour les visiteurs, nous souhaitons nous placer sur le terrain de la découverte, de la prise de risque. » C’est vrai que la foire offre des prix raisonnables. Les œuvres les plus chères des deux dernières éditions ont avoisiné les 30.000 € — et elles n’ont généralement pas été vendues.

Tout ce travail semble payer. Cette année, la foire accueillera de nouveaux participants, et pas des moindres : Anne de Villepoix, GVCC, la plus ancienne galerie du Maroc, mais aussi Magnin-A, la galerie d’André Magnin, célèbre défricheur du continent pour le compte de la collection Pigozzi, dans les années 1990, après sa participation à l’exposition Les magiciens de la Terre. Il exposera Amadou Sanogo et Gonçalo Mabunda. Et Didier Claes, grand marchand d’art classique d’Afrique noire, chasse de plus en plus sur les terres de l’art contemporain. En témoigne son installation l’année dernière dans le quartier d’Ixelles à Bruxelles, acquis à l’art contemporain, quittant le mythique quartier des Sablons, tout comme sa participation à la foire, où il présentera des pièces de Kendell Geers. « Nous accueillons aussi la seule galerie éthiopienne », se réjouit Victoriam Mann. Ce sera la galerie Addis Fine Art ouverte en janvier 2016 et qui présentera le travail de Tariku Shiferaw. « L’Afrique n’est pas composée de scènes émergentes, mais de marchés émergents, » rappelle-t-elle enfin. Rappel salutaire.

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À propos de l’auteur

Clément Thibault

Clément Thibault est critique et commissaire d’exposition indépendant, membre de l’AICA, de Jeunes Critiques d’art et de C-E-A. Après des études d’histoire de l’art et de management culturel, il a été assistant-curateur de Laurence Dreyfus, puis rédacteur en chef d’Art Media Agency (AMA) pendant deux ans. Récemment, il a participé à divers ouvrages et catalogues d’exposition dont Fred Forest au Centre Pompidou (éditions Première Partie) et les monographies de Wahib Chehata (Ut Pictura, éditions Hemeria), Vladimir Skoda (éditions Art Absolument) et Lucien Murat (éditions Suzanne Tarasiève). De l’ethnologie à l'art numérique, son approche inclusive de l’écriture d’art et du commissariat s’articule autour de réflexions autour de l’image, de la technologie et des spiritualités — il prépare une double exposition sur le sujet au musée de Soissons, Deus Ex Machina. Clément Thibault enseigne l’histoire de l’art dans des établissements spécialisés (ICART, EAC, IESA), et siège au conseil d’administration du Cube (centre de création numérique, Issy-les-Moulineaux). En 2020, il a été membre du jury du Salon de Montrouge, et nommé au prix Dauphine pour l’art contemporain, avec Guillaume Bouisset.

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