La foire d’art contemporain africain 1-54 de retour à Paris

Palliant la prorogation de l’édition de Marrakech en raison de la crise sanitaire, la fort acclamée foire d’art contemporain africain 1-54 s’invite une nouvelle fois chez Christie’s du 7 au 10 avril 2022. Un moment parisien qui promet par sa séduisante sélection d’artistes originaires d’Afrique et de sa diaspora.  

Les règles sanitaires désormais assouplies, les masques enfin tombés et les déplacements internationaux reprenant de plus belle, le monde de l’art retrouve tranquillement son souffle et la vigueur qui l’animait avant la pandémie. En témoigne la très attendue foire d’art contemporain africain 1-54 qui, pour la deuxième fois depuis sa création en 2013, se déploie avenue Matignon dans les prestigieux locaux de Christie’s. 

Si la maison de ventes aux enchères prêtait déjà ses cimaises lors de la précédente tenue de la foire en janvier 2021, c’était dans un contexte plus intimiste où, en raison du couvre-feu et de la distanciation sociale imposés, la découverte des œuvres se fit majoritairement en ligne et des plages horaires strictes ponctuaient les visites. Franc succès n’empêche, Christie’s s’est vu ravi de réitérer sa collaboration avec 1-54 pour 2022, une coopération qui marque l’investissement de la maison dans la multiplication des regards sur la production contemporaine africaine et l’éveil de ses échos à l’international.  

« En lieu et place de la célèbre édition de Marrakech, Christie’s Paris a l’honneur d’accueillir à nouveau la foire 1-54 dans nos galeries de l’avenue Matignon. Janvier 2021 a été un véritable succès et l’occasion pour Christie’s d’offrir à nos collectionneurs la possibilité de découvrir l’art contemporain africain. La deuxième édition à Paris nous permettra de renforcer notre soutien aux galeries participantes et aux artistes qu’elles représentent. Nous sommes ravis que ce partenariat se poursuive en 2022, en commençant par Paris et en continuant à Londres pour coïncider avec la 10e édition de la foire.» Julien Pradels, Directeur général de Christie’s France. 

Durant les quatre jours de foire, collectionneurs, curieux et férus d’art contemporain peuvent s’attendre à un événement de plus grande envergure et comptant un plus grand nombre de galeries participantes, soit 23 au lieu des 21 de la précédente édition. Un retour à la normale qui permettra de consolider l’objectif même de Touria El Glaoui, la fondatrice de la foire, qu’est de faire de 1-54 un riche vivier de dialogues et d’échanges entre les visiteurs, les galeristes et les artistes. Une manifestation considérable qui insuffle une force à la création africaine, à ce qu’elle légitime les questionnements sociaux, politiques et identitaires, ainsi que les enjeux que sondent les artistes au moyen de leur art, et renforce l’importance de l’Afrique et de sa diaspora dans le récit de la contemporanéité artistique autant que dans les circuits du marché de l’art.

L’émergence à ne pas manquer

Pour cette seconde édition française, trois jeunes artistes ont particulièrement retenu notre attention. Représentée par la galerie African Arty, la Congolaise Cinthia Sifa Mulanga fait plonger notre regard dans des intérieurs de la féminité noire, espaces intimes et domestiques qu’elle charge de réflexions autour des normes de beauté et des stéréotypes qui fonctionnent à la fois pour défier et embrasser les femmes africaines. Des références au patrimoine culturel du continent truffent ses compositions, presque photographiques, qu’elle travaille en combinant peinture à l’huile, encres, techniques de collage et fusain. 

Cinthia Sifa Mulanga, Masculine Traits I, 2021, Mixed media (acrylic paint, charcoal, acrylic ink, and collage) on Fabriano paper, 50 x 70 cm. Courtesy of African Arty.
Cinthia Sifa Mulanga, Masculine Traits I, 2021
Techniques mixtes (peinture acrylique, fusain, encre acrylique et collage) sur papier
Courtesy of African Arty. 

Rejoignant l’intimité domestique de Mulanga, l’artiste nigérian Kenechukwu Victor, présenté par la galerie athénienne The Breeder, propose des portraits puissants où les regards percent celui du spectateur, comme un moyen de l’absorber dans l’espace pictural et d’entrer en conversation avec lui. On aura remarqué les cheveux et les lèvres immaculées de chacun de ses sujets, une signature esthétique qui réfère au « Nzu », une argile blanche utilisée dans la culture Igbo, symbole de sagesse, de paix et de pureté. 

Victor Kenechukwu, Music to my ears IV, 2021, Oil on canvas, 152.4 x 122 cm. Courtesy of The Breeder.
Victor Kenechukwu, Music to my ears IV, 2021
Huile sur toile, 152.4 x 122 cm. Courtesy of The Breeder.

Dans une palette vive, des aplats monochromes et une technique maîtrisée du non-finito, le jeune ghanéen Joshua Oheneba-Takyi représenté par Gallery 1957 explore les notions de stabilité et d’appartenance par le biais du motif de la chaise. Un mobilier quotidien que notre attention oublie, sinon néglige, qui fascine pourtant l’artiste. Oheneba-Takyi y voit autant un garant du temps qui passe qu’un outil par lequel les corps qui s’y posent, tantôt pour attendre ou travailler, entrent dans un état de réflexivité où leur manière d’être, de se montrer et d’agir dans le monde est mise en suspens, sinon complètement remise en question.

Joshua Oheneba - Takyi, Turmoil , 2022, Acrylique sur toile, 300 x 200 cm. Courtesy of Gallery 1957
Joshua Oheneba – Takyi, Turmoil , 2022
Acrylique sur toile, 300 x 200 cm. Courtesy of Gallery 1957

Du côté parisien

Sept des 23 galeries participantes ont pignon sur rue à Paris. Encore là, plusieurs artistes auxquels prêter attention. D’abord, arrêt obligé à la galerie Cécile Fakhoury qui, installée sur l’avenue Matignon depuis octobre 2021, expose entre autres le travail de Roméo Mivekannin, dont l’œuvre, travaillée sur de larges draps imbibés de solutions rituelles, revisite la représentation picturale et photographique des Noir.e.s dans la culture visuelle occidentale. On y retrouve aussi la peinture de la Franco-Algérienne Dalila Dalléas Bouzar qui s’inscrit dans une critique des systèmes de domination exercés sur les corps, notamment féminins.

Nú Barreto, Chutes et ascensions, 2021
Nú Barreto, Chutes et ascensions, 2021
Collages (carton, papier, tissu), crayon, pastel demi-gras et papier recyclé
Courtesy of Galerie Nathalie Obadia. © Bertrand Huet/Tutti image

Halte ensuite au stand de la galerie Nathalie Obadia qui, en plus de présenter les portraits de l’encensé photographe malien Seydou Keïta, propose une plongée dans l’œuvre surréaliste et engagée de l’artiste natif de Guinée-Bissau Nú Barreto. Enfin, alors qu’une série inédite de l’artiste camerounais Justin Ebanda est présentée en primeur par la galerie Carole Kvasnevski, collectionneurs et amateurs peuvent retrouver le travail d’Omar Mahfoudi sur les cimaises du stand de la galerie Afikaris, jeune galerie créée en 2018 dont la première participation à ce moment parisien ravit sa responsable, Michaëla Hadji-Minaglou : « Nous sommes très heureux de la faire pour la première fois à Paris. C’est une foire à taille humaine, donc ça sera intéressant de revoir nos collectionneurs et d’en rencontrer des nouveaux. »

Point de mire sur l’art textile

D’ores et déjà légitimé comme pratique artistique à part entière, l’art textile est particulièrement mis à l’honneur par l’édition de cette année. En témoignent notamment les sculptures textiles du Malien Abdoulaye Konaté qui, exposées sur les cimaises de la Galerie 38 et de Primo Marella Gallery, impressionnent tant par les jeux chromatiques travaillés par l’artiste – chaque colorant provenant d’une région différente du Mali – , que par leur imposante dimension qui invite à un véritable face-à-face avec le médium. Un puisement dans la richesse patrimoniale du Mali qui rejoint les tentures assemblées de l’artiste malien Ange Dakouo dont le travail est exposé par LouiSimone Guirandou Gallery.

Marie-Claire Messouma Manlanbien œuvre tissée
Marie-Claire Messouma Manlanbien, #Map – 27, 2021
Fibre de jute, raphia, cheveux, grattoir, aluminium, résine, kita coton, plâtre, terre,..
Courtesy of Galerie Cécile Fakhoury.

C’est aussi à la Primo Marella Gallery que les amateurs des techniques du tissage pourront découvrir le travail du Zimbabwéen Troy Makaza. Troquant la fibre par des ficelles de silicone infusées d’encre et de peinture, Makaza façonne des réseaux complexes de matière entrelacée qui, formant d’étranges formes abstraites, symbolisent la vicissitude et la fluidité des relations entre les deux sexes dans le Zimbabwe contemporain. Une exploration relationnelle qui n’est pas sans rappeler l’œuvre tissée de la Française d’origine ivoirienne et guadeloupéenne Marie-Claire Messouma Manlanbien représentée par la galerie Cécile Fakhoury. Fervente exploratrice de la matière – tantôt textile, organique ou industrielle -, l’artiste crée des compositions délicates et polysémiques, œuvrant comme une poésie du visuel qui marient la tradition africaine et antillaise, au syncrétisme et à l’hybridité culturelle qui forge également sa propre identité. 

Éminemment plurielle et transculturelle, la foire 1-54 est un moment culturel à ne pas manquer, autant pour les fervents d’art contemporain africain que pour les néophytes qui cherchent à s’y initier. Apportant son vent de fraîcheur sur l’avenue Matignon, elle offre une voix essentielle à la production artistique contemporaine non occidentale en France.  

Artskop3437 partenaire officiel de 1-54 Paris chez Christie’s


1-54 Paris chez Christie’s
Du 7 au 10 avril
9 Av. Matignon
75008, Paris
France

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À propos de l’auteur

Anaïs Auger-Mathurin

Anaïs Auger-Mathurin est une rédactrice, commissaire indépendante et masterante à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Diplômée en histoire de l’art de l’Université de Montréal, ses recherches actuelles portent sur les circuits marchands de l'art traditionnel en Afrique de l’Ouest avec un accent sur les stratégies commerciales et les enjeux contemporains des marchands et des antiquaires ouest-africains. Amoureuse des arts, de l’histoire et des mots, elle se passionne pour la production culturelle et intellectuelle africaine et afro-descendante et articule ses écrits autour de la décolonisation des regards et des institutions occidentales.

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