Kisanola X Djeneba Aduayom

Peignes ornés du XIXe siècle de la République démocratique du Congo prêtés par un marchand d’art africain de renom. Direction artistique par une commissaire visionnaire d’une jeune galerie d’art contemporain ; photographies par une des étoiles montantes de la photographie. Trois mannequins et une journée d’hiver inspirée dans un studio parisien.

Didier Claes Bruxelles African art artskop
DJENEBA ADUAYOM Black Gold 5 (2018), from the series “Kisanola” Chromaluxe semi-matte metal print 100x133cm – Ed 1 Courtesy of the artist, Didier Claes Gallery & Galerie Number 8

Ces forces créatives et matérielles se retrouvent dans « Kisanola by Djeneba Aduayom », une série fascinante de portraits, dont quatre seront présentés cette semaine dans le cadre de l’évènement international Brafa Art Fair à Bruxelles. Des modèles noirs avec des couronnes de cheveux naturels rayonnent d’une puissance profonde et savante : chacun est orné de peignes et d’objets dorés brillants, prêts à l’amour, prêts au combat, prêts pour les cérémonies, prêts pour le monde. Les images sont éthérées, à la fois vintage, contemporaines et futuristes.

L’idée de cette série de photos est venue de Marie Gomis-Trezise, galeriste basée à Bruxelles. Elle a récemment fondé la Galerie number 8, qui représente des artistes émergents dont les œuvres portent sur des sujets comme, l’identité, la représentation et la condition humaine. En parcourant Brafa l’année dernière, elle a découvert la vaste collection de Didier Claes, propriétaire de la galerie éponyme réputée pour son exquise collection d’art ancien africain. Une révélation engendra une vision.

« J’avais une aversion pour les antiquités africaines parce que je les associais à la mainmise coloniale sur l’Afrique et que je les avais vues si souvent stigmatisées par la culture populaire », explique Gomis-Trezise. « Mais quand j’ai vu la collection de Didier, j’ai été stupéfaite. La beauté et la puissance des objets est écrasante. » Elle a tout de suite su qu’elle voulait travailler avec lui sur une série d’images prises par une photographe contemporaine, utilisant l’art traditionnel africain. Elle s’est rapprochée de la Galerie Didier Claes, qui a adoré l’idée et a proposé d’utiliser des peignes de la RDC pour le tournage.

« Je ne pouvais pas dire non à cette aventure. Ma collection personnelle comprend également des œuvres d’artistes contemporains qui se fondent harmonieusement avec des pièces plus anciennes. Je crois fermement que le mélange de l’art ancien et contemporain est logique et sage. C’est une combinaison surprenante qui fonctionne parfaitement. » S’en souvient Claes

Pour la séance photo, Claes a choisi plusieurs peignes dans les styles Chokwe, Yaka, Luba et Lélé d’Afrique centrale. Les sculptures complexes au sommet des peignes reflètent leur prestige, les goûts et coutumes élaborés des membres de la haute société qui les utilisaient. Sculptés dans une seule pièce de bois, ils présentent des motifs décoratifs, des thèmes figuratifs et symboliques. Par exemple, le nombre de dents indique le statut de la société à laquelle le peigne est associé, et les incisions géométriques et les motifs gravés portent des messages codés.

« Kisanola par Djeneba Aduayom » célèbre les peignes comme outils dans le maintien de ces échanges précieux et de la préservation de la culture des cheveux.

Le choix des peignes pour la séance photo – par opposition aux masques ou autres objets traditionnels africains – était important. Dans de nombreuses sociétés africaines, la coiffure est très importante et implique un échange intime entre le styliste et le coiffeur. La coiffure elle-même est autant une question de beauté que d’identité, de culture et de statut. « Kisanola par Djeneba Aduayom » célèbre les peignes comme outils dans le maintien de ces échanges précieux et de la préservation de la culture des cheveux.

« Ma vision était de créer quelque chose de sculptural et de moderne en utilisant ces artefacts étonnants. J’ai été inspirée par les détails des figures en bois. Les peignes font partie d’une riche et ancienne tradition culturelle et je voulais ajouter une touche moderne au mélange. » Djenaba Aduayom

Le récit photographique tire son nom de kisanola, le mot lingala pour peigne, et de sa photographe franco-togolaise, Djeneba Aduayom. Ancienne danseuse, les photographies d’Aduayom maximisent la puissance expressive et la beauté de la figure humaine. Pour Kisanola, son œil tourné vers la beauté et la grandeur définit chaque image. Aduayom se souvient : « Ma vision était de créer quelque chose de sculptural et de moderne en utilisant ces artefacts étonnants. J’ai été inspirée par les détails des figures en bois. Les peignes font partie d’une riche et ancienne tradition culturelle et je voulais ajouter une touche moderne au mélange.”

Didier Claes
DJENEBA ADUAYOM Black Gold 3 (2018), from the series “Kisanola” Chromaluxe semi-matte metal print 80x120cm – Ed 4 Courtesy of the artist, Didier Claes Gallery & Galerie Number 8

C’est Aduayom qui a introduit le fil métallique dans le style des mannequins « pour créer des structures simples avec les cheveux et les peignes, en fixant les peignes, mais aussi en créant une ‘cage sculpturale’ pour eux », dit-elle. « Le métal ajoute brillance et sophistication parce que l’or est par nature associé au prestige, à l’élégance, à quelque chose de valeur. » Elle aimait aussi le contraste créé par le bois des peignes et le métal.

« Pour moi, personnellement, le projet est devenu une sorte de réconciliation avec les antiquités africaines… » Marie Gomis-Trezise

Aduayom a toujours eu une relation très personnelle et contextuelle avec les antiquités africaines qui se manifeste dans la manière honorifique dont elle les a intégrées dans les portraits. Elle a grandi entourée de la vaste collection d’objets africains de sa mère et connaissait intimement l’histoire, la provenance et la signification de chacun. « Les objets africains font partie de mon patrimoine », dit-elle.

Pour Gomis-Trezise, ce lien émotionnel a été forgé en produisant ce projet. « L’idée était de faire quelque chose de beau, une sorte de redécouverte et de reconsidération des choses qui ont toujours été autour de nous », dit-elle. « Pour moi, personnellement, le projet est devenu une sorte de réconciliation avec les antiquités africaines. Cela m’a donné l’occasion d’interagir avec leur beauté et leur culture, et d’apprécier de près à quel point elles sont importantes et combien il est crucial de les protéger, voire de les renvoyer en Afrique. »

Bien que toutes les parties à la collaboration aient d’abord cherché à faire quelque chose de beau, elles nous ont donné bien plus que cela. Kisanola est un témoignage artistique de l’intemporalité et de la pérennité d’un peuple et d’une culture. Comme le note Claes : « Bien que l’art africain ait été créé il y a des années, il continue de nous inspirer. »

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À propos de l’auteur

Sala Elise Patterson

Sala Elise Patterson a écrit des articles sur la culture, le style, les voyages et l’actualité pour The Atlantic’s CityLab, le New York Times, TRUE Africa, Ford Foundation Report, Condé Nast Traveler Magazine,... Grande voyageuse, elle a vécu et travaillé dans huit pays dont le Bénin, la Tanzanie et la Tunisie.

Instagram: @salaelise

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