Tout passe sauf le passé. Goethe institut Frac/ Meca et le Musée d'Aquitaine.

Que faire des artefacts encore en possession des collections ethnographiques ?

Les 6, 7 et 8 Novembre derniers ont vu se tenir à Bordeaux,  un séminaire organisé par le Goethe Institut et le musée d’Aquitaine en collaboration avec le FRAC/MECA. Cette série de workshops s’inscrit dans le cadre de « Tout passe sauf le passé« , un projet de Goethe-Institut Bruxelles en coopération avec le Goethe-Institut Bordeaux, et les Goethe-Instituts en Italie, en Espagne et au Portugal sur le thème des héritages coloniaux. 

Le focus a été mis surtout sur les approches artistiques et discursives autour des résidus de l’époque coloniale qui sont toujours visibles aux musées, dans les archives photographiques et dans l‘espace public. Que faire des artefacts encore en possession des collections ethnographiques ? La restitution est-elle la nécessité éthique du jour ? Comment les objets pourraient-ils circuler d’un pays à l’autre ? Comment les artistes peuvent-ils contribuer à leur donner vie ? Telles fût les principales questions abordées. 

Des formes expérimentales de débats, des projections et des lectures-performances ont rythmées les approches artistiques et discursives autour des résidus de l’époque coloniale. Avec la participation de Fred Mutombo et Ayako Mensah, Dalila Dalleas Bouzar, Pascale Obolo, Toma Muteba Luntumbue, Sammy Baloji, Bianca Baldi, Calvin Soiresse, les chercheurs et directeurs de musée ;Didier Houénoudé, Placide Mumembele, George Abungu, Samuel Sidibé, Maureen Murphy , Margareta Von Oswald, Sara Torres, Lotte Arndt, Michael Dieminger, Irene Calderoni, Laurent Courtens, Carolina Orsini, Katia Kukawka, Cindy Mbeng, Elke Kaschl Mohni, Aliona Elizalde, Jana Haeckel, Luise Holke.

L’artiste Dalila Dalléeas Bouzar réalisa au sein du Musée d’Aquitaine une performance de rituel de déplacement d’objet. L’artiste explique « C’est une solution face à la nécessité de se réapproprier des objets qui ont été déplacé de leur territoire d’origine et qui ont perdu leur fonction sociale. Le rituel propose une forme inédite de réappropriation de l’objet et de détournement de l’espace de musée. » Une performance faisant ainsi écho à la question de la restitution. Déplacer les objets vers leurs terres originelles suffirait-il pour réparer le tort infligé par les colons ? Le terme restitution ne signifie t-il pas « remettre à son état initial » ? La question de la restitution au sein du débat pourrait-être en réalité plus large que le simple retour des objets en Afrique. Surtout lorsqu’il s’agit de la question sensible de restes humains…

Pour Toma Muteba Luntumbue, historien d’art, artiste-plasticien et commissaire d’exposition indépendant, la question de la restitution peut être abordée dans un sens éthique et moral. « Il faut dépassionner les discussions… ». Il met en garde contre les manipulations des politiques et intérêts économiques qui sont bien présents dans ce débat. Toma Muteba Luntumbue fût Directeur artistique de la 4e Biennale de Lubumbashi, Rencontres Picha en 2015 et il collabora auparavant sur des projets avec Sammy Baloji.

Contes du Jardin de la Croix de Cuivre, Episode 1, 2017

Dans son travail l’artiste Sammy Baloji s’est intéressé de longue date aux collections coloniales en Europe et aux Etats-Unis en mettant l’accent sur les mouvements de corps et d’idées qui s’opèrent entre le Congo et l’Europe. Les images et les objets sont alors sollicités comme des vecteurs relationnelles, permettant de révéler ou encore de modifier la permanence de structures et d’imaginaires (post)coloniales. Plutôt que de se concentrer sur des objets isolés, il est ici question des allers-retours, des échanges inégaux, des flux matériels autant que des opérations idéologiques qui les accompagnent. 

La conversation entre Sammy Baloji et la théoricienne culturelle Lotte Arndt, qui accompagne le travail d’artistes qui questionnent le présent postcolonial et les antinomies de la modernité dans une perspective transnationale, devait s’articuler sur l’enchevêtrement mouvementé entre l’exploitation matérielle continue, la revalorisation culturelle de symboles et de pratiques et la contestation de l’hégémonie culturelle eurocentrée et l’extractivisme par l’introduction répétée de contre-champs, qui inversent le point de vue et permettent l’émergence de récits à multiples voix. Sammy Baloji n’a pu être présent lors de la projection de la partie I du film.

Le film Tales of the Copper Cross Garden présenté à Documenta 14 à Athènes en 2017 par Sammy Baloji, juxtapose la transformation industrielle de métaux et notamment du cuivre dans une usine katangaise avec les chants d’une chorale coloniale, «le chœur de la croix au cuivre». En s’appuyant sur les réflexions du philosophe V.Y. Mudimbe sur le rôle de l’Eglise catholique dans la colonisation, le film interroge la connexion entre domination spirituelle (religieuse) et exploitation des richesses.

Né en 1978 à Lubumbashi, Sammy Baloji est un artiste plasticien et photographe. Depuis 2005, il explore la mémoire et l’histoire de la République Démocratique du Congo. Son oeuvre est une recherche perpétuelle autour de l’héritage culturel, architectural et industriel de la région du Katanga, ainsi qu’un questionnement des effets de la colonisation belge. Sammy Baloji est aussi le co-fondateur des Rencontres Picha, une biennale de photographie et vidéo à Lubumbashi. Une initiative d’artistes opérant de manière indépendante depuis Lubumbashi et visant à soutenir et à promouvoir la création artistique en République Démocratique du Congo en offrant un lieu pour des expositions, des rencontres, des résidences d’artistes, des ateliers de formation et d’accompagnement artistique.

Le Goeth Institut à l’initiative de ces séminaires a mis en ligne un site internet entièrement dédié aux débats constructifs pour repenser les relations de pouvoir pour un monde non racial et décolonisé. Découvrez-en plus sur ce projet accessible à cette adresse www.goethe.de.

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