Silentium : seconde exposition personnelle de Sadikou Oukpedjo
09/03/2019 - 11/05/2019Entre hybridation anthropomorphe et Zoomorphe les oeuvres de Sadikou Oukpedjo questionnent…
La Galerie Cécile Fakhoury d’Abidjan présente Silentium, la seconde exposition individuelle de l’artiste togolais Sadikou Oukpedjo. L’occasion d’explorer le travail unique de l’artiste sculpteur et plasticien vivant actuellement en Côte d’Ivoire.
A
près avoir développé très jeune une pratique artistique portée sur la sculpture et l’ assemblage, Sadikou Oukpedjo commence à peindre en marge de son travail de sculpteur et multiplie alors les expérimentations de techniques et de médiums. Du papier de ciment aux rehauts de pastels, en passant par l’utilisation de craies à la peinture sur toile, il crée des œuvres aux dimensions nouvelles, le dessin étant à la fois modelé à la manière du bois et envisagé comme un medium à part entière.
Dès son retour de la Biennale de Dakar, en 2014 l’artiste initie une série d’œuvres, dont les figures hybrides seront exposées en 2016, dans le cadre de sa première exposition solo, « Anima », à la galerie Cécile Fakhoury d’Abidjan. Avec l’exposition »Anima » Sadikou Oukpedjo présentait un travail sur le corps humain, dont les formes modelées témoignaient de la dualité tant physique que spirituelle, mi-homme mi-animal, de chacun d’entre nous. Ses œuvres tels des miroirs déformant, troublant pour mieux révéler l’essence de la vie humaine, celle d’une identité parcellaire et à réinventer.
Oukpedjo s’oppose au silence par la peinture
En observant les oeuvres de l’artiste des questions d’allure simple nous viennent à l’esprit. Cependant, ces questions s’avéreront plus profondes voir existentielles . Pourquoi tous ces animaux? Pourquoi retrouvons-nous dans ces compositions cette omniprésence du mimétisme entre l’animal et l’humain ? Pourquoi la nudité ? Comment la comprendre ? L’artiste souhaite-il mettre à nu la nature humaine et dévoiler nos contradictions les plus intimes ? Pourquoi cette forte hybridation entre l’animal et l’humain dans ses compositions?
Les toiles sont crues, sans détours, complexes et métaphoriques. De grandes toiles aux couleurs profondes, mouchetées avec des personnages pittoresques, évanescents et même mythologiques. Les compositions de Oukpedjo donnent une dimension rupestre, et même primitive à ses oeuvres. Une double présence de formes et de matières donne de la profondeur et de la lumière. Contrastant ainsi avec la noirceur des sujets traités.Une, apparente, volaille (ou un oiseau on ne saurait distinguer) en cage en guise de tête, sur un corps humain, d’autres personnages hybrides font penser aux centaures des mythologies grecques sauf qu’ici, ces corps ne sont pas mi homme mi cheval mais plutôt mi humain mi animal de bétail ou domestiqués pour leur consommation alimentaire par l’homme (poules, pintades, chèvres entre autres).
« Les oeuvres réalisées par Sadikou pour l’exposition sont vraiment fortes, et cette série Silentium marque une étape dans la présentation de son travail » nous explique Francis Coraboeuf, curateur à la galerie Cécile Fakhoury.
« Les oeuvres sont de plus en plus grandes sans perdre de leur intensité, sa technique est toujours aussi puissante et délicate à fois. Il conquiert de nouveaux territoires : Sadikou est un créateur intense, il dévore le monde, il utilise chaque opportunité pour assimiler techniques et savoirs, c’est un artiste en constante évolution, chaque exposition, chaque oeuvre est l’occasion de s’approprier un nouveau terrain, une technique non réalisée auparavant».
De grandes toiles aux couleurs profondes suscitant des questions existentielles
En effet, les tableaux de Oukpedjo invitent à des réflexions philosophiques sur la réelle nature humaine et la question de l’animalité, telles les deux faces d’une même pièce. Imbriqués comme si l’un n’ – était– pas sans l’autre, chaque humain possède son animal en soi et l’un comme l’autre semble lutter pour exister. Et si chaque animal possédait à l’inverse une part d’humanité en soi ? Si ce qui définit le genre humain est la conscience et la parole, alors le silence qui en découle de la perte des attributs précédents font-ils de l’homme un animal ? L’artiste nous invite à entendre le son du silence qu’il dépeint comme le nouveau bruit. Il y dénonce une absence sonore, la contagion d’un mutisme intérieur, réduisant au silence ce qui devrait être dit aux autres, mais d’abord à soi-même. Ce qui, par sa violence, par sa puissance, devrait suffire à briser le mur du silence, le silence de notre conscience. Quand la conscience se tait, l’homme tombe de son piédestal et perd la légitimité de sa supériorité.
Sur certaines toiles figurent des accessoires tel qu’un pistolet tenu par un corps humain à la tête d’une pintade, pointant sur un homme qui semble implorer clémence. Tandis que sur un autre tableau, un nouveau type de centaure – car le cheval ici est remplacé par ce qui apparait être un boeuf – offre une fleur à un homme qui dédaigne le regard. Les animaux sont présentés dans une innocence naive. Prêts au sacrifice. L’ hybridation qui semble sacrificielle où l’on ne sait pas qui de l’humain ou de l’animal est sacrifié par l’autre dans cette lutte incessante.
La condition humaine: un language universel délivré par l’artiste
« En termes de discours aussi son message est de plus en plus fort et universel et lorsqu’il parle ainsi de la condition humaine, de la souffrance que l’homme peut infliger à l’homme, je crois que beaucoup sont touchés en eux-mêmes. » Déclare Francis.
L’artiste ferait-il référence à l’ homme qui, dévoré par sa propre animalité et sa perte de conscience se retrouve tel que décrit dans le Leviathan du philosophe Thomas Hobbes, qui selon lui, sa vie est solitaire, indigente, dégoûtante, animale et brève ? L’homme ne pourrait ainsi se différencier d’un animal. Homo Homini lupus est – L’homme est un loup pour l’homme. Ou alors est ce au passé esclavagiste et colonial, période durant laquelle l’homme fût traité tel un – animal sauvage – à domestiquer à tout prix ou à sacrifier?
Francis poursuit, « La série d’oeuvre a été produite à Abidjan dans l’optique de l’exposition. Avant de réaliser ces oeuvres il a passé plusieurs mois en résidence à la Cité des Arts à Paris, puis il a fait un détour à Lomé ou il a créé une installation de sculpture monumentale pour le Palais de Lomé qui ouvrira ses portes bientôt. Du côté de la galerie c’est la deuxième exposition personnelle de Sadikou à Abidjan et nous éditerons bientôt son premier (modeste) catalogue pour marquer l’évènement.»
Une réflexion vers la consommation d’animaux ?
Le travail de Sadikou Oukpedjo (nous ne savons pas si ce fût l’intention de l’artiste) pourrait soulever une question de plus en plus controversée dans nos sociétés contemporaines: celle de la consommation d’ animaux. Les animaux ressentent-ils des émotions ? Ressentent-ils la peur, le danger, la compassion ? Est-ce que ça les rend plus humains ? Si les humains deviennent des inhumains en perdant la conscience et la parole, cela signifie t-il que les animaux possèdent une part d’humanité s’ils ressentent des émotions ? L’apparition dans les toiles presque exclusivement d’animaux consommés par l’homme sur le point d’être sacrifiés, tandis que l’homme apparaît comme le bourreau nous pousse à nous demander lequel de l’homme ou de l’animal est vraiment le monstre. Une responsabilité qui fait écho au silence des personnages de Sadikou Oukpedjo.
Silentium
Seconde exposition personnelle de Sadikou Oukpedjo
À la galerie Cécile Fakhoury
À voir jusqu’au 11 mai 2019
À Abidjan, Côte d’Ivoire
www.cecilefakhoury.com