Art Paris 2023 : lumière sur l’Afrique et sa diaspora

Du 30 mars au 2 avril, direction le Grand Palais Éphémère où Art Paris se déploie pour célébrer ses 25 ans. Pour cette édition anniversaire, ce sont 134 galeries dont 44 nouvelles participantes, 25 pays représentés, plus de 900 artistes et 16 solos shows qui animent le Champ-de-Mars. 

C’est sous les thèmes forts de l’engagement et de l’exil qu’Art Paris a choisi de souligner ses 25 ans. Reconduit pour une troisième fois au Grand Palais Éphémère, ce rendez-vous majeur dans l’écosystème parisien attire particulièrement l’attention cette année avec une présence étrangère presque paritaire, 40 % des exposants provenant de l’extérieur de l’Hexagone. Parmi la liste, on notera la participation de la galerie Afriart, une première pour celle qui a pignon sur rue à Kampala, des galeries turques Martch Art Project et The Pill ainsi que du Comptoir des Mines et de l’Atelier 21, deux galeries respectivement implantées à Marrakech et à Casablanca. 

Engagement et exil 

À travers le parcours de la foire, deux fils rouges, tissés par les commissaires Marc Donnadieu et Amanda Abi Khalil, relient une poignée de galeries participantes. Chacun a puisé dans le riche éventail de la foire, proposant deux expositions fragmentées que la déambulation recompose suivant les cartels dédiés. 

« Que peut l’art ? » a été le point de départ de Marc Donnadieu pour concocter une sélection réfléchie autour de l’engagement, un thème qu’il exploite à travers 20 œuvres de 20 artistes exposées dans 20 galeries différentes. Ce parcours unique nous conduit à la galerie Rabouan Moussion où deux œuvres d’Hervé Télémaque, artiste haïtien récemment décédé, père de la figuration narrative, lui rendent brillamment hommage. Cet engagement dans l’acte créatif mène également vers la galerie Carole Kvasnevski où une puissante triade de photographies monochromes signées Angèle Etoundi Essamba enrichit les cimaises. Figure aussi dans cette exposition de Donnadieu l’artiste originaire du 93, Rakajoo – « tête de mule » en wolof – dont le travail vaut amplement le détour à la galerie Danysz. 

Hervé Télémaque — La Tache Bleue, 1989
Galerie Rabouan Moussion (C4)
Hervé Télémaque — La Tache Bleue, 1989
Galerie Rabouan Moussion


Exposition sœur signée Amanda Abi Khalil, Exil : dépossession et résistance sonde la complexité de l’exil, ce départ choisi ou forcé, mais toujours subi, à travers 18 œuvres sélectionnées par la commissaire. De ce riche éventail, nous retenons La foule X (2016) de Nabil El Makhloufi, une méditation poétique et sensible sur l’attente qui languit une foule. L’œuvre est un fragment d’un corpus plus large pour lequel l’Atelier 21 a brillamment dédié l’entièreté de ses murs, proposant ainsi l’un des 16 solo shows disséminés dans les dédales de la foire. Coup de cœur aussi pour Myriam Mihindou dont le travail occupe toute une partie du stand de la galerie Maïa Muller. Un juste choix commissarial qui met en valeur ses œuvres manifestes de la vulnérabilité des corps blessés et de la matière — ou du rituel — qui soigne, panse et apaise de la douleur.  

Nabil El Makhloufi – Interception (2023)
L’Atelier 21

Focus galeries 

Au stand G6 de la galerie Afriart, nous rencontrions Daudi Karungi, fondateur de la galerie, et son bras droit Lara Buchmann. Si la galerie avait déjà fait l’expérience d’Art Paris dans le passé, c’était en collaboration avec une autre enseigne, faisant de cette édition 2023 leur première représentation indépendante. Une participation qui ravit la galerie : « Of course, it’s great to be in Paris as an African gallery at an international fair. It’s not like 1-54 or AKAA where it is more obvious to find galleries located on the continent », nous confiait Lara, quoique songeuse de représenter l’unique galerie, parmi les 134, à être localisée en Afrique subsaharienne. Sans conteste un déséquilibre de représentation loin d’être exclusif à Art Paris. Y sont à découvrir les sculptures murales de Richard Atugonza, les somptueuses tapisseries recyclées de Sanaa Gateja et le travail de Mona Taha.

Sanaa Gateja — Red Pond, 2023
Afriart Gallery
Courtoisie d’Afriart Gallery

Passage aussi obligé chez Anne de Villepoix où le trait vif, électrique de Gastineau Massamba se joint aux deux œuvres du peintre Bouvy Enkobo qui se font pièce maîtresses dans l’espace. Des grands formats qui parlent du soi et de la culture publicitaire à Kinshasa, un travail que l’artiste s’est ravi de nous décortiquer.

 Je pars de ma réalité, de celle que je vis à Kinshasa. À travers les affiches que je vais chercher dans les imprimeries, que j’arrache et que je colle, j’essaie de créer ce dialogue entre la réalité de la ville et l’image que la publicité nous en donne, parfois contradictoire. Pour moi, c’est vraiment une histoire que je vis dans le quotidien. 

L’artiste Bouvy Enkobo à la galerie Anne de Villepoix

Toujours du côté parisien, la galerie 31 Project s’ajoute à liste de visite. De part et d’autre de l’espace, ce sont quatre extraits de la série documentaire Primordial Earth de Léonard Pongo se détachant sur un mur vert forêt et les explorations d’archives de Kelani Abass qui sont à découvrir. Centrale, vous ne manquerez pas non plus de glisser dans l’une des bacchanales peintes d’Epheas Maposa, un travail empruntant à l’onirique et au cynisme pour critiquer la déliquescence des structures politiques et sociales au Zimbabwe. 

Vue du stand de la galerie 31 Project
De gauche à droite, Kelani Abass, Epheas Maposa et Léonard Pongo
Courtoisie de 31 Project

Les fins connaisseurs et adeptes de la scène africaine contemporaine ne seront non plus déçus par une visite des galeries poids lourds répondant communément présentes à ce rendez-vous du printemps. Ainsi, les œuvres de Roméo Mivekannin (Eric Dupont), El Anatsui (RX & SLAG), Nú Barreto (Nathalie Obadia), Alioune Diagne (Templon), Zanele Muholi (Carole Kvasnevski) et Omar Ba (Templon) parsèment le parcours. 

Bref, un rendez-vous de découverte de l’art moderne et contemporain qui réitère sa pertinence en tant que fidèle vitrine de la scène artistique parisienne et qui s’engage de plus en plus vers le cosmopolite. Art Paris, foire qui fait vibrer la ville le temps de sa tenue et dont le nom est sur les lèvres de collectionneurs, amateurs et professionnels de l’art, n’est pas à manquer. 

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À propos de l’auteur

Anaïs Auger-Mathurin

Anaïs Auger-Mathurin est une rédactrice, commissaire indépendante et masterante à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Diplômée en histoire de l’art de l’Université de Montréal, ses recherches actuelles portent sur les circuits marchands de l'art traditionnel en Afrique de l’Ouest avec un accent sur les stratégies commerciales et les enjeux contemporains des marchands et des antiquaires ouest-africains. Amoureuse des arts, de l’histoire et des mots, elle se passionne pour la production culturelle et intellectuelle africaine et afro-descendante et articule ses écrits autour de la décolonisation des regards et des institutions occidentales.

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