Outsiders/Insiders? Les artistes d’Essaouira s’exposent au MACAAL
11/03/2021 - 25/07/2021Le Musée d’Art Contemporain Africain Al Maaden (MACAAL), Marrakech, accueille Outsiders/Insiders? Artistes d’Essaouira des collections Fondation Alliances et Fundación Yannick y Ben Jakober, une exposition collective ouverte au public du 11 mars au 25 juillet 2021. Elle présente une vaste sélection d’œuvres de pas moins de 23 artistes singuliers d’Essaouira des collections de la Fundación Yannick y Ben Jakober/Museo Sa Bassa Blanca et de la Fondation Alliances parmi lesquels Mohamed Tabal, Ali Maimoun, Regragui Bouslai et Abdelmalek Berhiss. À travers une variété de médiums, d’œuvres inédites et d’archives, Outsiders/Insiders? tente de révéler comment cette petite ville portuaire aux influences multiples est devenue le terreau d’une scène créative atypique.
Hétéroclites et libres de tout académisme
Musique, légendes, art, artisanat, religion, mythes, poésie, architecture, cultures multiples et traditions sont autant de thématiques liées à Essaouira. Anciennement nommée Mogador par les Portugais, cette ville portuaire se situe au carrefour des civilisations. Empreinte au fil des siècles des cultures arabe, juive, berbère et subsaharienne, il s’agit d’un laboratoire de coexistence culturelle dans lequel la création se déploie librement.
Les artistes souiris sont inclassables et hétéroclites. Sans formation académique, natifs d’un territoire n’ayant jamais été influencé par les écoles des Beaux-Arts, ils puisent leur inspiration dans les références multiples que concentre la ville. Ces créateurs autodidactes ont ainsi réussi à générer une iconographie et une plasticité singulière. Leur peinture est tout à la fois instinctive et réfléchie, simple et riche, mystérieuse et éloquente. Leurs œuvres ont en commun la fluidité de la courbe, la profusion des formes et la richesse des couleurs. Les mouvements ondulatoires répétés inspirés conjointement de l’eau, du souffle, de la musique et de la transe font apparaître pêle-mêle formes anthropomorphes, créatures oniriques et symboles protecteurs. Art du mouvement perpétuel et de la régénération constante des formes, ces œuvres ouvrent la porte à un monde mystérieux, mystique, d’une grande complexité.
« La plupart de ces artistes invoquent des forces surnaturelles dont ils ne seraient que les jouets ou les instruments. Ils se mettent dans un état semi-conscient qui les rend réceptifs à des énergies qui les dépassent. On mettra évidemment ce mode d’inspiration en relation avec les courants religieux qui se sont entrecroisés à Essaouira, notamment le soufisme, l’animisme, et les rituels importés par la diaspora noire, dans lesquels la transe et la magie jouent un grand rôle. » Michel Thévoz, écrivain, historien de l’art, philosophe, conservateur de la Collection de l’Art Brut (Lausanne).
Une création ancrée dans l’héritage de la ville d’Essaouira
Qu’ils soient inspirés par l’architecture, le multiculturalisme, la religion ou l’environnement, le travail de ces artistes entre en forte résonnance avec la ville d’Essaouira.
Par leur démarche et leur pratique, certains artistes souiris se font les conservateurs des traditions et rites ancestraux. Chercheur et conservateur du Musée des Arts Populaires d’Essaouira, Boujemâa Lakhdar introduit dans ses sculptures des figures géométriques ciselées remontant aux sources même de ce graphisme symbolique en interrogeant les livres de magie populaire. Initié aux pratiques des anciens artisans par le biais de l’observation participative, il a su maîtriser et faire la synthèse de leur savoir ancestral, transposé au sein de compositions artistiques fort savantes. En peinture, Ali Maimoun puise son inspiration dans les sujets du quotidien, y intégrant des figures issues des mythologies africaines.
Il se fait ainsi le témoin du patrimoine traditionnel, de ses coutumes et ses rites, auxquels il apporte sa touche personnelle. Puisant dans leur propre vécu, d’autres artistes utilisent leur environnement comme point de départ. Initié très jeune au culte gnaoua, Mohamed Tabal transpose ses rythmes en véritables chorégraphies picturales. Narrative, sa peinture raconte aussi bien les fêtes et rituels gnaoua que la vie quotidienne dans toute sa richesse et sa diversité. Conteur visuel poétique, Regragui Bouslai vient de la tradition des expressions orales. Ses œuvres fantasmagoriques ont une naïveté douce qui suggère que le monde qu’il peint est son Eden.
Bien que discrète, la création au féminin n’est pas en reste. Outsiders/Insiders? met en lumière le travail de Regraguia Benhila, figure de proue féminine de ce mouvement pictural informel. Libre et singulière, elle invite à un spectacle scénographique surchargé de lignes fluides et sinueuses. Les figures schématiques qui en émergent sont telles des résurgences oniriques d’une mémoire ancestrale.
Originaire de la région de Marrakech, Abdelkader Bentajar fait figure d’exception parmi ces natifs d’Essaouira. Pourtant, ses peintures oniriques sont imprégnées des couleurs traditionnelles de la ville. Le bleu et le blanc de ses œuvres se mélangent et construisent des océans limpides et des nuages peuplés de personnages et de créatures imaginaires.
Grâce à une lecture plus contemporaine de ce mouvement artistique, l’exposition propose à travers une scénographie immersive réalisée par l’architecte et artiste marocain Othmane Bengebara, une véritable invitation au voyage dans l’univers frénétique et surréaliste de ces artistes.
« Loin du satisfecit ou de la complaisance, cette escale est et restera le marqueur d’un espace et d’un moment qui sont ceux d’un Maroc définitivement curieux, ouvert à la diversité et réconcilié avec toutes les formes de la contemporanéité. Un Maroc qui sait désormais reconnaître et accepter ce mouvement de la vie qui ne s’est jamais mieux exprimé que par la liberté de créer. » André Azoulay, journaliste, économiste et homme politique, Conseiller de S.M. le Roi du Maroc.
Frédéric Damgaard, pionnier défenseur des artistes d’Essaouira
Cette exposition est dédiée au critique d’art, historien et galeriste Frédéric Damgaard. Né à Svendborg (Danemark), il fait des études d’Histoire de l’Art à la Sorbonne ainsi qu’à l’École du Louvre avant de créer des galeries d’art spécialisées dans les arts de l’islam à Paris et Nice. Lors de sa première visite à Essaouira en 1987 n’existent aucune galerie d’art au sein de la ville ni d’artiste exposant ses œuvres.
Séduit par l’ancienne Mogador et son vivier de créateurs, il s’y installe définitivement en 1987 et fonde en 1988 la galerie d’art Damgaard, première galerie d’art d’Essaouira. Y sont représentés peintres locaux et sculpteurs sur bois, parmi lesquels Mohamed Tabal, Regragui Bouslai, Rachid Amarhouch, Mustapha Asmah et Said Ouarzaz. Frédéric Damgaard a fortement contribué à la compréhension de l’art des peintres d’Essaouira et de la culture gnaoua. Il a notamment été décoré par S.M. le Roi du Maroc de l’ordre d’Officier du Wissam Alaoui pour ses efforts de promotion de la ville d’Essaouira et de ses artistes.
La collection de la Fundación Yannick y Ben Jakober
Yannick Vu and Ben Jakober sont un couple d’artistes et collectionneurs. Respectivement peintre et sculptrice franco-vietnamienne et sculpteur autrichien, Yannick et Ben Jakober pensent et créent leurs œuvres ensemble depuis 1992. Philanthropes et fervent défenseurs des Arts et de la Culture, Ben et Yannick Jakober sont à l’origine d’une fondation d’art et du musée msbb, situés près d’Alcudia sur l’île de Majorque, en Espagne.
Parmi les multiples œuvres qui composent leur collection, celles des artistes peintres de la région d’Essaouira tiennent une place autrement importante. Elles témoignent d’un attachement particulier à cette région côtière du Maroc et sa culture métissée. La part marocaine de leur collection compte plusieurs centaines d’œuvres, principalement des peintures et sculptures, et représente les principaux artistes de l’École d’Essaouira, parmi lesquels Mohamed Tabal, Boujemâa Lakhdar, Ali Maïmoun, Regragui Bouslai, Abdelmalek Berhiss et Abdellah El Atrach. Au-delà des tableaux, ils collectionnent également les tapis traditionnels aux couleurs vives tissés par les femmes souiries.
L’exposition Outsiders/Insiders? s’accompagnera d’un programme éducatif et culturel riche comprenant des visites scolaires et visites guidées (sur réservation), des conférences, des rencontres avec artistes, artisans et acteurs culturels, des ateliers créatifs et des projections. Dans la lignée de sa volonté de transmission, de partage et de diffusion de l’art et afin de la rendre accessible à un public élargi, le MACAAL a également initié un partenariat avec la ville d’Essaouira et ses acteurs culturels pour réaliser une partie de la programmation culturelle de l’exposition au sein de la ville.