Omar Ba portrait d'artiste

Omar Ba « On se dit la vérité, mais on ne se fait pas la guerre »

Jusqu’au 27 mars, Omar Ba, peintre sénégalais signe une belle exposition, « Anomalies » à la Galerie Templon de Bruxelles. Les peintures, sur grand format, souvent sur carton ondulé, interpellent et interrogent. Entre figures hybrides, mi-homme mi-animal, songes oniriques et nature envoûtante, l’artiste dénonce ces hommes de pouvoir qui tripatouillent la constitution, interroge la société et la pandémie qui menace nos libertés. Cette exposition, il l’a conçue dans son atelier de Dakar, après avoir quitté un peu précipitamment sa résidence d’artiste à New-York, à cause du Covid.

La côte d’Omar Ba grimpe sur le marché de l’art contemporain. A 44 ans, il peut savourer le chemin déjà tracé. Après des études aux Beaux-Arts de Dakar, il poursuit sa formation en Suisse et s’y installe. Désormais, il a un pied entre l’Europe, l’Afrique et bientôt le continent nord-américain. 

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Vue d’exposition Omar Ba – Anomalies, Galerie Templon Bruxelles

Sylvie Rantrua: Comment, en tant qu’artiste, avez-vous vécu cette pandémie du Covid ? Quelles ont été les répercussions sur votre organisation et votre travail ? 

Omar Ba: Pour beaucoup d’artistes, la pandémie leur a permis de s’enfermer, de travailler. Pour moi, cela a été le contraire. Au début, je pensais que j’allais faire comme tout le monde. D’abord, je suis rentré à Dakar. J’ai quitté New-York, où j’étais en résidence d’artiste. Il n’y avait plus d’administration, les gens partaient, j’ai préféré rentrer à Dakar où j’ai mon atelier, avec ma famille et les enfants. Je me disais alors que je ne pourrais que travailler ! Arrivé à Dakar, tel n’a pas été le cas. J’étais beaucoup plus intéressé à tenter de comprendre l’évolution de la pandémie et à prendre des nouvelles des amis. J’observais comment les pays géraient cette pandémie et en particulier en Afrique. 

Pendant, trois à quatre mois, je ne faisais rien de concret à part prendre des photos, m’occuper de la gestion de mon atelier et des animaux que j’élève. J’étais connecté avec la nature. Cette pandémie m’a rapproché de la nature, des plantes, des animaux mais aussi de ma famille, de mes enfants. J’avais besoin de comprendre ce qui se passait. Maintenant, même si cette pandémie n’est pas finie, je commence à apprendre à la gérer, à vivre avec, à réagir. Après six mois, j’ai ressenti le besoin de travailler. 

S.R: L’Exposition « Anomalies » à la galerie Templon à Bruxelles, a-t-elle été difficile à préparer ?

O.B: J’ai dû terminer cette exposition en pleine pandémie, même si certaines toiles avaient été commencées auparavant. Cela a été compliqué. J’étais confronté à un problème de production. La création s’est faite réellement sur les trois derniers mois. Avant, je faisais une ou deux pièces qui partaient dans des foires ou des expos. En revanche, pour réaliser les toiles pour cette exposition, j’ai engagé énormément d’énergie. J’ai pu en un court laps de temps finir les toiles. Du coup, je suis très content car les pièces sont magnifiques, je pense. 

S.R: Artiste reconnu, votre travail a évolué dans le temps, comment vous décririez cette évolution ? 

O.B: Cette évolution est venue de plusieurs façons. Je suis passé d’abord par des petites galeries, puis de plus grandes. J’ai participé à des expos avec d’autres artistes peu connus, puis plus connus, au niveau mondial. Cela renforce la confiance. Maintenant, le marché attend mes œuvres et cela crée une certaine pression. Du coup, je deviens très exigeant avec moi-même. Je cherche à innover, à faire des grands formats, à tester mes limites.

S.R: Comment vous les voyez ces limites ? Peuvent-elles être dangereuses ? 

O.B: La plupart des artistes préparent une exposition pendant une année. Je travaille beaucoup au niveau conceptuel, de la réflexion, ce n’est que dans les derniers mois ou je m’enferme pour travailler. Cela demande beaucoup d’énergie, de sacrifices. Physiquement, s’est épuisant. Je peux veiller longtemps, dormir à peine. C’est dans ces moments là que la sève sort. La substance que l’on cherche dans la création. Au moment de l’épuisement, des choses vraiment naturelles, que l’on ne maîtrise pas, sortent. C’est cela qui me plaît. Mais c’est un peu dangereux, tu peux basculer… J’arrive à gérer cette quête de l’excitation qui me stimule. Quand j’ai un timing, des échéances, c’est là que je travaille. 

Vue d’exposition Omar Ba – Anomalies, Galerie Templon Bruxelles

S.R: Dans vos tableaux, il y a une dualité entre la beauté et le message. Vos œuvres dénoncent l’incurie des dirigeants, les plaies de la colonisation, la corruption… Pourquoi avoir choisi ce langage ? 

O.B: J’ai envie de dire ma vérité. Je vis dans un monde, j’appartiens à ce monde donc j’ai droit à la parole. J’ai la chance de faire cette activité qui était au début ma passion et maintenant j’arrive à aider, à faire vivre des gens. C’est une chance que la nature m’a donné. Je ne veux pas me trahir. J’ai juste envie d’être sincère. Parler de l’injustice revient à se mettre en face de certaines organisations ou institutions et leur dire ce que tu penses. Parfois cela peut blesser, faire mal. Du coup, je le fais dans un discours qui est apaisant, grâce à la beauté. On se dit la vérité, mais on ne se fait pas la guerre. J’essaye de faire un travail où les gens pourront se mettre en face et le regarder sans pour autant qu’ils ne se sentent agresser, tout en partant avec un vrai discours. 

S.R: Souvent vous réalisez vos peintures sur du carton ondulé, pourquoi ce choix ? 

O.B: Ce choix me permet de lever des barrières et des contraintes comme peindre sur une toile qui coûte cher, sur des matériaux que l’on dit nobles. Des artistes pourraient aimer peindre sur des toiles, comme Vermeer sur des lins magnifiques, mais ils n’ont pas l’argent pour le faire. Au début, je n’avais pas d’argent et pour m’exprimer je peignais sur ce que j’avais, des cartons, du papier, du plastique. Je me suis rendu compte que lorsque je travaille avec des supports que je récupère qui ne me coûtent rien, sauf peut-être juste le geste de les ramasser, je n’ai pas de limite ni de contrainte. J’ose plus. Je ne vais pas me dire : si je rate, cela va me coûter de l’argent. 

S.R: Au Canada, vous aviez fait une œuvre éphémère au musée des beaux-arts de Montréal. Quand est-il advenu ? Je sais que le musée voulait la garder…

O.B: Je n’ai pas eu de retour depuis. Ils voulaient garder la pièce mais entre-temps il y a eu la pandémie. Honnêtement, l’œuvre était faite pour être détruite, pour être éphémère. J’aime aussi l’idée du souvenir. Je donne un exemple. L’histoire, ce sont des choses qui ont existé, ils restent des vestiges de cette histoire, ou de ce qu’on raconte de cette histoire. Pour moi, en créant une œuvre, puis en l’effaçant, elle reste dans la mémoire de ceux qui l’ont vu. Elle ne va pas être la possession d’une personne, mais elle restera au même niveau pour tout le monde. C’est aussi une façon de revoir l’histoire, d’imiter l’histoire. 

S.R: Qu’aimeriez-vous faire ?

O.B: Peut être aider la jeunesse africaine à contribuer à cette construction de l’Afrique. J’aimerais travailler par rapport à la nature. Faire ce que je fais dans mon travail autrement dans la vie sociale.

Dans mon travail, j’aimerais aller vers de très grands formats, peut être ces pièces ne pourront pas être montrées partout mais j’ai envie de tenter des œuvres sur des formats proches de la réalité, des formats de 10 mètres. Plus j’avance, plus les formats s’élargissent. Et puis j’aimerais explorer d’autres médiums, les installations et la sculpture. Je cherche quels matériaux j’ai envie d’utiliser et dans quels formats j’ai envie de faire ce travail. 

Propos recueillis par Sylvie Rantrua

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À propos de l’auteur

Sylvie Rantrua

Journaliste indépendante, photographe, spécialisée sur l’Afrique et passionnée par l’art contemporain africain, elle suit la scène artistique à Paris, Marrakech ou Londres. Collaboratrice régulière pour le Point, les rencontres avec les artistes sont un précieux sésame pour entrer dans des univers fantastiques et partager des émotions. Elle couvre les grandes foires internationales et le marché de l’art.

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