Adel Bentounsi

Adel Bentounsi, long métrage et court métrage d’un artiste iconoclaste de l’Algérie contemporaine

Né en 1982 à Annaba en Algérie, l’artiste Adel Bentounsi vit à Paris. Depuis ses études aux Beaux-Arts de sa ville natale, il a exposé son travail en Algérie, au Maroc, en France et au Sénégal. À New York, il a exposé l’une de ses oeuvres significatives intitulée CV (2019). Il mène en parallèle un travail d’écriture sur son travail artistique, une écriture métaphorique qui reste volontairement dans une forme de sincérité, par le biais de questions vis-à-vis des situations du réel qu’il tourne en métaphores. 

Adel Bentounsi a commencé sa carrière en tant que peintre à l’école d’art d’Annaba. En 2008 il s’est révolté face à l’absence de modèles vivants dans l’école d’art en Algérie, une situation dans laquelle le corps est remplacé par des objets. Suite à son expulsion de l’école d’art, il lui fallait créer quelque chose qui pourrait l’aider à faire passer son message en tant que citoyen et artiste. Pendant ses études à Annaba, l’artiste se sentait pris en otage par l’industrie en Algérie, dans une société matérialiste de consommation. Il a commencé à développer une philosophie dans laquelle il se satisfaisait en tant que peintre, donnant vie dans ses toiles à des personnages endossant le rôle de porte-paroles. Ces personnages figés étaient identiques, anonymes, sans expression et comme vides, immobiles à l’image de la perception de l’artiste de la société algérienne. À cette période, la peinture fonctionnait comme un défouloir pour l’artiste.

Jusqu’en 2013, il a senti qu’il avait perdu une forme de sincérité; ses personnages n’étant pour lui plus des revendicateurs mais des séducteurs; devenus corrompus en quelque sorte. L’artiste pose alors par extension la question de la perception du corps dans la société algérienne. Qu’il soit couvert ou nu, Bentounsi postule dans son travail qu’il est comme pris en otage, tout en étant un vecteur de beauté.

Comment savoir, agir et poser des questions? 

Adel Bentounsi, Brûlure au coeur, vidéo performance, 2013. © rhizome

La plupart de son travail ne prend pas forme dans l’espace de l’atelier dans sa définition classique. Il cherche avant tout à reproduire la pensée telle qu’elle est. Dans Brûlure au coeur (2013), l’artiste performe dans un autodafé de ses propres oeuvres, exprimant une volonté de passer à autre chose, de tourner une page. Brûlant ses oeuvres, il transforme ainsi les toiles en pare-feu de son propre processus de création. Il déplace son propre corps et celui des personnages de ses peintures; un déplacement du corps qui est pris en otage dans la société. Dans son format modifié, altéré, vandalisé, le tableau – devient désormais un écran rectangulaire voué à disparaître. Par cet acte, Adel Bentounsi élimine toute trace physique du temps passé par ses peintures. Comme l’établit Bruno Latour, l’iconoclasme est marqué par un cycle initial de violence contre les œuvres d’art, auquel succèdent des tentatives de restauration de ce qui a été détruit, une séquence chargée de part et d’autre de contestation idéologique. 

Cet exemple provocateur offre un point de départ pour étudier l’éventail et la signification du travail de Bentounsi. La pratique de cet artiste pose l’acte artistique comme acte de résistance. À partir d’une idée et par le recours au fragment, son travail prend forme dans des médiums aussi variés que la peinture, le dessin, l’installation, la photographie, la vidéo, la performance et le recours à des techniques mixtes. L’artiste réunit ainsi des fragments de situations, des étincelles, des silhouettes, des éléments mécaniques qui l’interpellent et que l’on n’a pas l’habitude de voir (L’échelle 1/3, 2018).

Il insère dans sa pratique un questionnement de notre définition de l’iconoclasme pour inclure une variété d’actions transformatrices, à la fois destructives et additives, entreprises contre tout type d’objet imprégné de signification symbolique, fournissant un nouveau cadre dans lequel considérer ses actions esthétiques. Comme pour de nombreux aspects de l’expérience de l’œuvre d’un artiste, sa trajectoire, les traces, les archives ou documents et notes ne permettent pas systématiquement de retrouver avec certitude les mécanismes et les intentions qui sous-tendent la réification d’une œuvre d’art. Cette part d’incomplétude est une clé de compréhension de l’oeuvre de Bentounsi.

Comment peut-on susciter la capacité émotionnelle de créer ou de comprendre l’art? 

Adel Bentounsi, CV , 2019 French-Arabic bilingual pressure cooker / keyboard stickers
Adel Bentounsi, CV , 2019. French-Arabic bilingual pressure cooker / keyboard stickers. © rhizome

Pourquoi Adel Bentounsi s’est-il emparé de ses toiles pour les détruire et qu’est-ce qui l’a amené à en faire un objet utilitaire voué à la destruction ? Comment la valeur conflictuelle que différents utilisateurs ont accordé à la peinture a-t-elle nécessité des modifications de sa forme ? Pourquoi a-t-il transformé ses oeuvres en outils de construction de sa propre identité ? De cette manière, l’iconoclasme met en lumière le rôle joué par l’art pour aider les hommes et les femmes à résister à l’autorité du capital, de l’institution, de la politique. Cette situation de travail donne également un aperçu de la fonction de l’art au sein de la société et des communautés, qui par ce biais, aide à retrouver l’agentivité artistique individuelle.

Cette question de l’agentivité est au coeur de la pratique de Bentounsi. Les artistes contestent le statut quo et s’emparent de la liberté, œuvre par œuvre, action par action (CV, 2019). Lorsqu’ils ne sont pas entravés par les objectifs moraux et l’appareil institutionnel, les artistes peuvent réorganiser et redistribuer l’histoire, le récit, les formes et les signes comme ils l’entendent (Parole étouffée, 2019). L’iconoclasme d’Adel Bentounsi nous rappelle qu’une partie essentielle du rôle de l’art est de permettre de ne pas se conformer aux codes établis dans une discipline donnée et dans la société plus largement. 

Adel Bentounsi, Parole étouffée, technique mixte (haut-parleur_ ciment_ colle), 2019.© rhizome

Le travail de Bentounsi nous incite à reconsidérer le pouvoir symbolique que l’appropriation et le redéploiement d’une œuvre peuvent opérer et ordonner (Bibliothèque Arabe, 2021). Loin de la destruction aveugle, son iconoclasme est une composante de son projet plus vaste d’agitation politique derrière les lignes sociales et politiques balisées et un élément clé de son affirmation d’agentivité en tant qu’artiste. Son œuvre s’inscrit ainsi dans une double trajectoire: elle fait partie intégrante de l’Algérie contemporaine, pleinement ancrée dans un contexte caractérisé par des conditions sociales, historiques, politiques et artistiques. Le plus important est qu’elle tend vers un au-delà, un espace autre. Sa force réside dans le fait qu’elle creuse avec patience un sillon parallèle, un autre récit qui rappelle que l’histoire de l’Algérie contemporaine doit continuer à être écrite. 

Adel Bentounsi est représenté par la galerie rhizome. Le travail de l’artiste a été présenté récemment lors de la sixième édition de AKAA à Paris. Pour en savoir plus sur rhizome, visitez le site internet ici.

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À propos de l’auteur

Karima Boudou

Karima Boudou (1987) est collaboratrice scientifique à la Haute école des arts de Berne (HKB), historienne de l'art et curatrice qui vit et travaille à Bruxelles. Formée en histoire de l'art (Montpellier, Rennes) et en philosophie (Nanterre), elle a participé au programme de conservateurs à De Appel, Amsterdam, en 2012-13. Ces huit dernières années, elle a organisé des projets de recherche, des expositions, des conférences et des publications en Europe et au Maroc. Son travail se recoupe théoriquement et pratiquement avec la théorie postcoloniale et la réactualisation des archives et des histoires décentrées de l'art moderne et contemporain, en considérant stratégiquement les politiques de vision et de visibilité dans l'histoire de l'art. Boudou a donné des conférences sur les écrivains Jean Genet et Mohamed Leftah et sur les artistes Glenn Ligon, Danh Vo, Dave McKenzie et David Hammons. Elle a écrit pour des catalogues d'exposition (Mu.ZEE, Ostende, Belgique ; Le Cube, Rabat, Maroc) et des magazines (Mousse, Ibraaz, rekto:verso, Metropolis M). Sa bourse récente du Collège des Bernardins à Paris portait sur l'œuvre du peintre américain Beauford Delaney.

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