Alpha Crucis – Art Contemporain Africain, la fin d’une série d’expositions monumentales
Alpha Crucis – Art Contemporain Africain clôture une série d’expositions lancées en 2005 prenant la géographie comme critère de commissariat. Bien que l’approche ne soit pas révolutionnaire, le défi de cette dernière exposition est que là où les précédentes éditions, (Brésil en 2013-14 et la Chine en 2017), représentaient des pays culturellement complexes, aucune n’était aussi vaste que le continent africain. Le commissaire invité de l’exposition, André Magnin, qui a contribué à l’une des premières expositions d’art dont on attribue le bouleversement des valeurs esthétiques eurocentriques – Magiciens de la Terre au Centre Pompidou et à la Grande Halle de la Villette à Paris en 1989 – a sélectionné pour cette exposition dix-sept artistes de sept pays représentant l’Afrique subsaharienne.
Bien que conventionnelles dans leur présentation, les pratiques artistiques telles que le textile – n’ayant été accueillies que récemment dans les salles sacrées de l’art contemporain – y occupent pourtant une place considérable. Dès, l’entrée les visiteurs aperçoivent de loin les œuvres de l’artiste sud-africaine Billie Zangewa, née au Malawi, qui a réalisé des pièces et des coutures en soie brute. Le fait de quitter la zone billetterie pour se diriger vers l’œuvre de Zangewa crée un jeu d’optique qui fait de son choix de matériaux une surprise pas tout à fait visible de loin. Zangewa décrit l’oeuvre The Rebirth of the Black Venus (2010), dont l’artiste apparait au premier plan surplombant le centre-ville de Johannesburg, comme une œuvre biographique. Le titre suggère également la figure historique de Saartjie Baartman, dont le corps, au début des années 1800, est devenu tristement célèbre et a fait l’objet d’une exploitation coloniale, avant de retourner en Afrique du Sud pour y être enterré en 2002. Cette tension entre le personnel et le politique inquiète peut-être plus qu’ailleurs l’art du continent africain.
La capacité à reconnaître les contextes politiques semble une interprétation presque obligatoire pour le visiteur assidu, la silhouette de Zangewa porte une bannière annonçant d’ailleurs un mantra utile : « Abandonnez-vous sans réserve à votre complexité ». La phrase pourrait être reprise tout au long de l’exposition. Alors que Zangewa utilise des textiles pour créer des œuvres qui peuvent ressembler à des peintures de loin, les peintures à motifs de l’artiste malien Amadou Sanogo rappellent des motifs textiles sans utilisation de tissu. Les peintures de Sanogo s’inspirent plutôt de ses connaissances et de son expérience personnelle, dans le processus de teinture des textiles de Bogolan, qui exige beaucoup de travail. Cette technique utilise de la boue fermentée sur du coton pour modeler des textiles tissés, souvent avec une palette très contrastée – une esthétique que l’on retrouve dans plusieurs des magnifiques peintures de Sanogo.
Dans la mezzanine supérieure, deux artistes sud-africains utilisent la couture comme moyens esthétiques très différents. Le travail de Senzeni Marasela avec le textile et la performance s’inspire de la génération de sa mère, de la vie sous l’apartheid, des femmes qui attendent sans cesse leurs hommes à cause du travail, de la guerre ou de l’incarcération. Dans la série en cours Waiting for Gebane, de délicates aquarelles rouges et des dessins au fil cousu évoquent l’effacement et le mépris de l’identité des femmes. L’artiste utilise la description péjorative « Kaffir sheet » (feuille de Kaffir) pour décrire le matériau dans lequel elle coud – une réappropriation du nom désignant les textiles de coton de qualité grossière vendus pendant l’ère coloniale dans les commerces ruraux du KwaZulu Natal et du Cap-Oriental.
Tout près, on trouve une installation faite à partir de pneus en caoutchouc recyclés (marque de fabrique de Nicholas Hlobo) et de vibrants organza cousus avec des rubans de suture créant une sculpture à la fois phallique et anthropomorphique – une référence, du moins en partie, à l’identité de l’artiste en tant que Sud-Africain noir ouvertement gay. Le podcast en ligne du musée explique l’utilisation par Hlobo de sa langue maternelle, le Xhosa, – pour les titres (qui demeurent non traduits) de la sculpture Ndimnandi ndindodwa (2008) et de l’œuvre murale cousue Nalo ikhwezi alinyulu (2015), – comme une « référence à la fois à ses propres racines et à la façon dont l’art doit souvent être traduit lorsqu’il est vu en dehors de son contexte original ».
Si The Rebirth of the Black Venus de Zangewa domine l’horizon urbain de Johannesburg, Atlantic de Wura-Natasha Ogunji (2017) offre une autre image de l’émancipation femmes. Ogunji travaille avec plusieurs supports, y compris la performance, mais utilise ici un papier calque délicat. Un simple visage dessiné porte une épaisse chevelure dressée au-dessus de sa tête. Un texte écrit à la main sort de l’oreille du sujet : « Nous sommes issus de la perte. Nos défunts bordent la mer. Nous devons les retrouver – devenir des mammifères amphibies comme les ours polaires et les ornithorynques. Notre terre n’est pas l’Afrique, mais le sable formé par l’ossature de nos ancêtres ». Les lignes bleues obsédantes dans The proof, an undersea volcano, attraction, extraction, distraction (2017) suggèrent de faibles veines dessinant des figures horizontales – un rappel des pertes catastrophiques de vies humaines créées par le commerce transatlantique d’esclaves africains.
Un catalogue d’exposition complet, imprimé avec dix-sept couvertures différentes, mérite d’être salué pour avoir largement évité le piège consistant à faire parler les voix européennes au nom des expériences du continent. Babacar Mbaye Diop, du Sénégal, donne un aperçu utile des événements artistiques contemporains subsahariens, tandis que « Notes Towards a Lexicon of Art and Place », rédigé par Sean O’Toole, basé au Cap, remet en question de manière perspicace le principe curatorial de l’exposition, qui est quelque peu lourd.
Les deux parties du titre de l’exposition méritent leur propre critique. Alpha Crucis est considérée comme l’étoile la plus brillante de l’hémisphère sud. Invisible depuis l’hémisphère nord, elle fait partie de la constellation de la Croix du Sud et – depuis Oslo ou n’importe où en Europe – nécessite une réorientation physique pour pouvoir en être témoin en personne.
L’art africain contemporain ou art contemporain d’Afrique dans son immensité est une nomenclature encore plus délicate. À peine invisibles pour l’hémisphère nord, les artistes sélectionnés représentent pour la plupart des identités bien établies dans un marché de l’art mondial à peine invisible pour l’hémisphère nord. À cet égard, Alpha Crucis (dont le commissariat se trouve dans un monde pré-Covid, bien sûr) semble un peu déconnecté.