Billie Zangewa: un manifeste pour l’amour dans des temps incertains
Billie zangewa fait partie de cette génération d’artistes féministes, qui utilisent leur corps afin de mieux raconter ce qu’est la vie d’une femme au 21e siècle. Au travers des histoires plus personnelles et politiques via des scènes domestiques qu’elle nomme «Fémninisme du quotidien» mais aussi fortement universelles, Billie Zangewa scande son corps dans ses oeuvres, le met à nu, au regard de tous. L’observateur se veut voyeur. Témoin d’une certaine intimité. Autant morale que physique. « En mettant l’accent sur les choses que les femmes font à la maison qui sont vues, appréciées, reconnues, je dis tout haut c’est ma force, c’est de cette manière que je fais bouger le monde » explique l’artiste.
Comme le soulignait l’historienne de l’art Christine Eyene dans « Billie Zangewa, Quintessence de la beauté africaine »,1dans Africultures 2011/3 n° 85 | pages 110 à 115 « Au-delà du récit personnel, émane de cette protagoniste à la fine allure et aux cheveux rasés, une quintessentielle beauté africaine à laquelle la femme noire pourrait aisément s’identifier. (…) Il ne s’agit pas non plus de la femme bien en chair prisée par l’Africain, comme l’évoque Fatou Kandé Senghor. Mais plutôt de l’artiste comme muse, usant de son propre corps pour symboliser les multiples facettes de la femme. Zangewa la dépeint d’abord comme objet, sujette au désir masculin, trophée de celui dont elle serait la conquête. Jusqu’au jour où celle-ci prend conscience du pouvoir que son corps exerce sur le sexe opposé. Ainsi, ses scènes brodées, cousues, apiécées, jouent sur les subtilités du corps féminin, de l’innocence à la volupté, jusqu’à la reconquête de soi comme l’illustre sa magnifique Renaissance de la Vénus Noire (2010)».
Fidèle à son oeuvre, Billie Zangewa met en scène une fois de plus non seulement son corps d’une « quintessentielle beauté africaine » comme une armure de guerrière, mais aussi sa vie de famille qui n’est pas si différente de celles d’autres femmes du monde peu importe leur couleur de peau ou leur origine. À travers cette première exposition individuelle de l’artiste chez Templon intitulée Soldier of love. – Soldat de l’amour, Billie Zangewa s’en va en guerre…Elle s’en va mener un combat pour l’amour dans des temps incertains. « Je pense que l’acte ultime de la résistance est l’amour de soi » déclare Billie Zangewa lors d’une récente interview au Tate Modern.
Pour cette exposition à la galerie Templon – (Paris-Beaubourg) visible en ligne sur le site de la galerie jusqu’au 24 juillet 2020 -, ce sont pas moins de dix nouvelles oeuvres qui prennent possession de l’espace. Les chutes de soie et de textiles brillants et colorés s’entremêlent délicatement sur les compositions figuratives, pour dépeindre des portraits narratifs élogieux de l’amour sous toutes ses facettes. Des détails de sa vie personnelle ainsi que de sa famille comme prendre une tasse de thé dans la cuisine, ramener ou emmener son fils de /à l’école, lire un journal papier depuis son fauteuil ou encore prendre une douche semblent être des actes manifestes dans un combat pour l’amour. Nous laissant à penser que ce dernier se trouve aussi dans les moments quotidiens de la vie.
«J’ai choisi d’appeler cette exposition Soldat de l’amour car j’ai le sentiment d’ être un soldat de l’amour. Et je pense que dans ces temps difficiles dans lesquels nous vivons, on commet de nombreuses transgressions les uns envers les autres, beaucoup de souffrances que nous nous infligeons les uns envers les autres partout dans le monde. Je suis un soldat de l’amour car dans ce climat, beaucoup de personnes sont désabusées et ne croient pas en l’amour. C’est pour cette raison que j’utilise le terme de « soldat » parce que c’est un combat pour l’amour.» Déclare Billie Zangewa.
Entre universalité de l’expérience du tissu et language métaphorique
La soie, pour l’artiste, revêt diverses connotations dont la relation entre le tissu et l’humain. «Le tissu fait parti de notre vie quotidienne » explique Zangewa, «nous portons des vêtements, nous dormons entre des draps, lorsqu’on se réveille le matin on ouvre nos rideaux. On étend le linge sur les fils et c’est une expérience très tactile. »
Et pourquoi la soie en particulier ? À cette question l’artiste réponds que d’un point de vue métaphorique la soie est par essence un produit issu d’une transformation. Du vers à soie au tissu fini, ce matériau passe par une transformation avant de devenir la matière finale. Billie Zangewa compare cette transformation à la sienne. Inconsciemment elle dit s’être sentie attirée naturellement vers elle.
L’utilisation de morceaux de tissus, sectionnés permet une expérience plus connectée avec l’observateur qui s’interroge du fait qu’il s’agisse ou non d’une peinture. Les formes irrégulières de l’oeuvre trahissent bien assez tôt son caractère. Ces mêmes irrégularités dans le tissu font également référence aux blessures de l’enfance de l’artiste. « (…) C’est comme ci quelque chose était arrivé au tissu, c’est peut être le temps, ou peut-être quelque chose l’a grignoté. Donc cela parle d’une transgression. Comme si quelque chose de l’extérieur est venu et a interféré avec l’oeuvre » raconte elle. « Mon art est comme une thérapie personnelle. Je transforme mes traumatismes et douleurs en de belles oeuvres. La soie est l’élément qui est laissé par la transformation d’un animal. Donc je ressens l’utilisation de la soie comme si ce matériau m’avait choisi et m’attendait plutôt que l’inverse. »
Les irrégularités du tissu font également référence à la notion de perfection recherchée sans cesse par les humains, oubliant qu’une beauté existe dans l’imperfection. La beauté, selon l’artiste, apparait aussi dans les oeuvres qui racontent les moments quotidiens « Car j’ai l’impression que dans l’art, on essaye plutôt de représenter des moments spectaculaires et moi j’ai tendance à m’engager au niveau personnel et politique et d’approfondir ce qui semble être le quotidien mais qui en réalité représente tant psychologiquement et symboliquement de manière universelle. »
Au final l’artiste mène aussi un combat pour mettre en avant la place des femmes noires dans le monde. Ces dernières ont besoin de soutien de la société et en créant des images autour de l’intimité de sa vie personnelle, l’artiste attire l’attention sur l’existence de femmes qui livrent des combats quotidiens en apparence banaux mais pourtant si forts de sens.
Née en 1973 au Malawi, Billie Zangewa vit et travaille entre Londres et Johannesburg. Exposée au Botswana et en Afrique du Sud depuis 1997, le travail de Billie Zangewa est présenté et reconnu sur la scène internationale depuis une quinzaine d’années. Son travail a bénéficié d’expositions personnelles notamment en 2018 à Art Basel Miami Beach, en 2017 à Frieze Londres et à Art Paris. Elle a participé à de nombreuses expositions collectives en Afrique, en Europe et aux Etats-Unis dont notamment en 2019 à I am… Contemporary Women Artists of Africa au National Museum of African Art-Smithsonian Institute, Washington ; en 2018, Making Africa: A Continent Of Contemporary Design, Blanton Museum of Art, Austin; en 2017, Stedelijk BASE, Stedelijk Museum Amsterdam; en 2016 Women’s Work, Crafting Stories, Subverting Narratives, IZIKO South African National Gallery, Cape Town et A Constellation, Studio Museum Harlem, New York; en 2015, Body Talk: Feminism, Sexuality and the Body in the Work of Six African Women Artists, WIELS, Brussels. Les œuvres de Billie Zangewa sont présentes dans les collections du Centre Georges Pompidou, Paris et de la Tate Modern, Londres.
Depuis fin janvier 2020, son travail fait partie d’une exposition de groupe au Astrup Fearnley Museet à Oslo. Du 12 juin au 1er novembre 2020, le Musée d’Art moderne de Paris, organise l’exposition The Power of My Hands, qui rassemblera une sélection d’œuvres d’une douzaine d’artistes féminines de plusieurs pays africains et de la diaspora, dont des œuvres de Billie Zangewa.