Entretien avec l’artiste céramiste Bisila Noha

La ceramiste Bisila Noha derrière ses céramiques avec l'argile en provenance de Guinée Équatoriale. © Photo Ida Riveros.
La céramiste Bisila Noha derrière ses céramiques avec l’argile en provenance de Guinée Équatoriale.

Bisila Noha est une céramiste basée à Londres, dont les œuvres s’inspirent de diverses méthodes traditionnelles du travail de l’argile. À la demande d’ Artskop3437, J’ai échangé avec Bisila Noha autour de son procédé, de ses influences et de la façon dont le confinement lui a permis de mettre son travail en perspective et de faire le point sur le chemin parcouru.

Bisila Noha, racontez-moi comment vous avez débuté à travailler l’argile pour en créer des céramiques, et comment vous êtes devenue une artiste/créative ?

J’ai commencé tout à fait par hasard il y a plus de 7 ans en m’installant à Londres. Un ami débutait tout juste un cours de céramique, et m’a proposé de m’y inscrire. Ce que je fis et je me suis immédiatement immergée. Ensuite, je suis allée en Italie pour faire un stage, et suivi d’un apprentissage à Madrid avec un artiste céramiste. Et puis j’ai séjourné au Mexique avec des potiers à Oaxaca. Ça a fait un peu un effet boule de neige – quand je suis revenue à Londres, j’avais des commandes et je me suis mise à créer à temps plein, en gros jusqu’au confinement.

Ce fut un voyage extraordinaire. Je ne pense pas que c’était une décision consciente, mais plutôt une soif d’apprendre. Je suis super heureuse de la façon dont tout a évolué et du chemin parcouru. Jusque là j’avais plutôt ancré mon travail sur la création d’objets fonctionnels. Par contre cette année, j’ai essayé de voir ce qui se passe quand je suis mon intuition et que je suis plus ludique.

Bisila Noha dans son atelier. Photo par Ida Riveros.
Bisila Noha dans son atelier

Quelle importance accordez-vous à la fonctionnalité de vos céramiques et surtout qu’est-ce qui vous a donné envie d’être plus expérimentale?

Il y a environ deux ans, j’ai commencé à réaliser que je concevais des objets multi-fonctionnels. Quand je me suis mise à mon compte, j’ai réalisé que j’étais une personne hyper-productive, ayant besoin d’être efficace et efficiente. Ce qui, je pense est une conséquence du capitalisme. Je projetais tout cela dans ce que je faisais. Par la suite, certaines céramiques se sont révélées non fonctionnelles totalement de manière intuitive. C’était très difficile pour moi de l’accepter mais j’adore l’aspect et les formes qui apparaissent dans mes céramiques même si elles n’ont pas de fonction utilitaire. J’ai dû me dire, ‘accueille-les, admire-les pour ce qu’elles sont’. Dans la vie, tout ne doit nécessairement pas être productif.

Cette année fût un autre tournant décisif, car j’étais un peu lasse de concevoir de la vaisselle, et j’avais de l’argile que mes parents m’avaient apportée de Guinée équatoriale, d’où vient mon père. C’est alors que j’ai entamé mon travail sur le projet d’argile de Baney, qui est le nom du village de mon père. J’ai réalisé que c’était le chemin que je souhaitais prendre : avoir une idée, faire des recherches, avoir le temps d’y repenser, de réaliser les pièces et d’écrire à ce sujet. C’est un processus plus long et il y a moins de pièces car j’aime me laisser le temps de penser, de passer du temps avec les pièces et de constituer une collection.  

Il semble que la relation et le lien que vous avez avec la Guinée équatoriale ont été très transformateurs pour vous, tout comme vos voyages dans des endroits comme l’Italie et le Mexique. Tous ces endroits ont leur propre tradition de poterie et de céramique. Comment ces expériences vous ont-elles influencé ?

Enormément. Je suis née et j’ai grandi en Espagne, et je n’avais jamais été en Guinée équatoriale avant 2010. J’ai grandi dans un environnement très majoritairement blanc et très détaché de mes racines africaines. Depuis que je vis au Royaume-Uni, je découvre davantage cette facette de ma personnalité, surtout à travers le féminisme noir. Avoir la chance d’utiliser l’argile pour explorer toutes ces choses a donc été incroyable.

Le voyage au Mexique a été très spécial. À Londres, et même en Italie, on reçoit un sac d’argile, on ne sait pas d’où il provient, et puis on apprend la technique, mais je n’avais pas appris grand-chose sur l’histoire de cette technique. Quand je suis allée au Mexique, j’ai rencontré surtout des femmes qui ont appris de leurs mères, de leurs grands-mères. Elles vont à la mine et elles ramassent la terre, elles ne font qu’un avec l’argile qu’elles utilisent et tout le processus.

Pour elles, l’argile est ce qu’elles sont, et leur identité. Cela m’a aussi fait réaliser depuis combien de temps les êtres humains utilisent l’argile, et comment elle peut être comme un espèce de journal du développement humain et de l’histoire de l’humanité. L’an dernier, je suis allée au Maroc, et c’était quelque chose d’autre. C’était dans les montagnes avec une femme nommée Aisha, dont la méthode était semblable à celle des femmes du Mexique. C’est tellement simple, d’une certaine manière. Nous sommes de la même espèce. Quelque soit l’endroit où nous sommes, nous avons les mêmes besoins, nous avons tendance à trouver les mêmes solutions, et l’argile en est un si bel exemple.

Céramique issue de la série Baney Clay par Bisila Noha. Disponible en exclusivité sur artskop.com
Céramique issue de la série ‘Baney-Clay Argile de Baney’ du nom du village de son père par Bisila Noha. Disponible en exclusivité sur artskop.com

Quel est le processus que vous affectionnez ? A-t-il changé depuis l’époque où vous fabriquiez des pièces plus fonctionnelles jusqu’à ce que vous créez maintenant ?

J’ai surtout utilisé la fabrication au tour car c’est comme ça que j’ai été formée. Maintenant, je mélange la technique du tournage et l’enroulement, ce qui est du travail à la main. Je réfléchi cependant à de nouvelles formes. J’adorerais tourner mais en changeant la forme, la déstructurant et la finir en l’enroulant. C’est dans cette voie que je souhaite me diriger et continuer à me développer.

Avez-vous trouvé que le confinement vous a donné plus de temps et de liberté pour expérimenter de cette manière ?

En fait, pendant le confinement, je ne suis pas allée au studio. J’ai décidé de rester à la maison pour écrire davantage et essayer de prendre de la distance par rapport à mon travail, afin de pouvoir développer les idées et les concepts que j’ai en tête. C’était en fait vraiment génial de faire une pause, après quatre années de travail intensif, en étant à côté de l’argile tous les jours. Parce qu’on fait une chose, et on passe à la chose suivante et à la suivante, et il n’y a pas de temps pour la réflexion. Je pense que c’est un processus dans lequel je m’étais engagée depuis un certain temps lorsque le confinement a eu lieu.

Céramique issue de la série Baney Clay par Bisila Noha. Disponible en exclusivité sur artskop.com
Céramique issue de la série ‘Baney-Clay Argile de Baney’ du nom du village de son père par Bisila Noha. Disponible en exclusivité sur artskop.com

Pouvez-vous me parler de Gatherers, l’exposition à laquelle vous avez participé?

C’était une exposition collective qui a réuni des artistes céramistes de différents endroits, qui ont un lien particulier avec l’argile qu’ils utilisent. L’exposition se tenait à Highgate, dans un endroit appelé Omved Gardens, mais il y a eu le confinement, et la galerie qui l’organisait a fait un travail incroyable en créant une expérience virtuelle qui était assez proche de l’expérience physique. Il y a une vidéo à 360 degrés qui permettait de se déplacer avec son smart phone et de voir tout l’espace. Sur le site web, il y a eu aussi des images 3D des céramiques en rotation. Cela a suscité beaucoup d’intérêt à Londres, et quand ils ont finalement ré-ouvert en juillet, beaucoup de gens sont venus et les ventes ont été incroyables. Mais cela a aussi donné la chance aux gens du monde entier de les voir, ce qui n’arrive pas habituellement. Ce fut sans aucun doute le moment fort de mon année.

Céramiques en argile de Baney par Bisila Noha. Disponible sur artskop.com
Céramiques en argile de Baney par Bisila Noha. Disponible sur artskop.com

Quelles sont certaines des choses que vous aimeriez faire évoluer dans votre pratique ?

Je me penche sur les formes africaines et j’essaie de les reproduire. Je m’intéresse aux déesses de la fertilité, car les formes sont très féminines et renvoient à l’argile, qui lui, fait partie de la naissance de la civilisation. Donc je lis, je fais des recherches et j’essaie de trouver des idées pour de nouvelles pièces. J’ai changé d’atelier et je suis maintenant dans un studio avec une seule roue, ce n’est donc pas un lieu de production. C’est donc le moment pour moi de grandir de l’intérieur et de me concentrer sur la conception de ce que je désire.

Cet entretien a été édité dans un souci de longueur et de clarté. Une sélection de céramiques de Bisila Noha est disponible sur notre site en cliquant ici.

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À propos de l’auteur

Aurella Yussuf

Aurella Yussuf est une rédactrice et historienne de l'art basée au Royaume-Uni. Elle est membre fondateur du collectif de recherche interdisciplinaire Thick/er Black Lines. Ses écrits ont été publiés dans Hyperallergic, Frieze, Arts.Black et d'autres publications artistiques.

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