Les Reines d’Afrique mises en lumière par Ishola Akpo

L’artiste béninois Ishola Akpo présente au Musée de Ouidah de Cotonou (Bénin) son récent travail de recherche « AGBARA Women ». Une ode au pouvoir et à l’autorité de la femme, incarnée par des portraits de reines, des reines avec ou sans royaume mais qui ont toujours lutté pour exister et être reconnues au sein de leur famille, de leur pays.

Ishola Akpo, Akin V - Projet AGBARA Women 2020 - Musée de Ouidah Fondation Zinsou Les Reines d'Afrique mises en lumière par Ishola Akpo
Ishola Akpo, Akin V, Projet AGBARA Women, 2020

Lors d’une résidence de quinze mois à la Fondation Zinsou, Ishola Akpo a choisi de travailler sur le thème des reines africaines, qui ont régné mais qui ont pour la plupart été oubliées volontairement dans l’Histoire de plusieurs pays. En effet, beaucoup d’entre nous connaissent Marie-Antoinette d’Autriche en France, ou Isabelle la Catholique en Espagne, mais combien d’entre nous connaissent la vie et les exploits de Tassi Hangbé au Bénin, Yalla Ndaté au Sénégal, Anne Zinghaen Angola, Yaa Asantewaa du Ghana ?

Ce sont ces reines ainsi que celles des yorubas du Nigéria qui ont inspiré Ishola Akpo. Très vite au cours de ses recherches, l’artiste s’est rendu compte qu’il n’y avait que très peu de documents et d’archives en rapport avec ces reines d’Afrique. C’est ainsi, qu’est né le projet “AGBARA Women”; en hommage à ses femmes gommées de l’Histoire.

Ishola Akpo, Traces d’une reine I 2020 - Musée de Ouidah Fondation Zinsou Les reines d'Afrique
Ishola Akpo, Traces d’une reine I, 2020

Une exposition empreinte d’histoire

Le projet “AGBARA Women” dont le commissariat est assuré par Marie-Cécile Zinsou, exprime dans sa globalité, la détermination, la force et la résistance dont ont fait preuve ces reines africaines, mais également la fragilité de leur pouvoir face à toutes les formes d’opposition qu’elles ont pu rencontrer.

Lors de la création de sa série « L’essentiel est invisible pour les yeux » travail conceptuel et documentaire qui explorait la mémoire de la dot du mariage de sa grand-mère à travers les objets restants – Ishola Akpo a appréhendé le rapport entre la place des femmes, des traditions et de l’Histoire. Aujourd’hui avec le projet ‘AGBARA Women’, Ishola Akpo a souhaité approfondir ce thème avec les reines africaines.

L’artiste redonne ici une véritable place à la Femme dans la complexité de nos sociétés contemporaines mondialisées, où les liens séculaires se défont et concèdent de nouvelles normes. Constatant l’absence d’archives malgré le réel poids politique de ces reines au sein des différents Royaumes africains, Ishola Akpo a commencé un long travail de recherche. C’est ce travail qui l’a conduit à explorer de nouveaux matériaux et à nous présenter trois nouvelles séries :

  • AGBARA Women / photographies
  • Traces d’une reine / collages
  • Manifeste / tapisseries

Dès nos premiers pas dans l’exposition, Ishola Akpo nous plonge dans une dualité qui le questionne en nous présentant une sculpture – une hache réalisée en céramique et en fer – créée en collaboration avec le sculpteur Matthias Kaiser à Vienne en Autriche. Le fer est pour Ishola Akpo l’emblème de la résistance et donc de la force, mais la matière choisie pour le manche – la céramique – s’oppose à cette résistance, car elle symbolise la fragilité du pouvoir de ces reines africaines.

Ishola Akpo, Traces d’une reine II Projet AGBARA Women, 2020 Fondation Zinsou Les reines d'Afrique
Ishola Akpo, Traces d’une reine II. Collage et couture sur papier, fils de coton. Projet AGBARA Women, 2020

Cette dichotomie, Ishola Akpo nous la livre également dans la série «Traces d’une reine ». Elle est représentée ici par le fil rouge cousu des treize collages de photographies et d’images d’archives, qui révèlent le pouvoir et la gloire oubliés des reines en Afrique. L’artiste se plait à opposer l’aiguille, matérialisant la résistance des Reines, à la fragilité de leur pouvoir incarnée par le papier.

Mais ce fil rouge exprime aussi le fil conducteur de l’histoire de ces Reines. Il relie archives et perspectives contemporaines permettant ainsi à l’artiste de souder entre eux des éléments disparates pour créer une nouvelle Histoire. Sur certains de ses collages, Ishola Akpo a délibérément substitué la tête des rois en les remplaçant par celle des reines, mettant ainsi en scène des archives à la gloire de ces dernières. Il propose une autre version de cette Histoire en réhabilitant ces femmes.

Ishola Akpo, Iyà Nlà, Projet AGBARA Women, 2020
Ishola Akpo, Iyà Nlà, Projet AGBARA Women 2020

Ces femmes mises à l’honneur, Ishola Akpo nous les présente sous un autre prisme avec « AGBARA Women ». Dans cette série, l’artiste revient à son médium de prédilection, la photographie. Il construit, déconstruit le fond et la forme, et comme un peintre joue avec une palette de couleur irradiant «ses Reines». Il les désire scintillantes et les met en lumière pour leur rendre hommage. Pourtant rien n’est laissé au hasard dans ces photographies, le choix des modèles, des accessoires, des couleurs… Tout a une source : sa culture Yoruba et ses traditions, les photos ou illustrations issues des archives de la Fondation Zinsou sur le Dahomey, les voyages qu’il a effectués, les livres qu’il a lus, les différentes recherches qu’il a pu faire, l’histoire de chacune des reines, ont inspiré ce travail.

L’artiste explique: “Je me documente, je vais à la rencontre de l’Histoire. C’est ce travail de recherche qui est passionnant. Ce n’est pas le fait de prendre l’appareil photo et de commencer à photographier, non. Je me nourris d’abord. Et quand je me nourris, je me mets en transe. Je ne lis pas beaucoup mais quand j’ouvre un livre, je me mets en transe. Quand on me raconte les histoires, quand je lis, j’ai des images qui arrivent dans ma tête. C’est à partir de là que je souhaite immortaliser ces images et c’est là que je prends mon appareil photo. C’est le temps de transe qui m’anime à ce moment.

Le travail de recherche documentaire est une étape très importante dans mon travail. C’est comme un initié qui va au convent, après l’étape d’initiation, cette « formation » qu’il a reçue dans le couvent, il la met sur la place publique et cette divinité prend corps en lui, et il n’est plus en lui-même. C’est la même chose quand je fais mes recherches… Après, je me mets à photographier et c’est la transe qui m’anime à ce moment-là.”

Vue d'exposition Projet AGBARA Women 2020 Musée de Ouidah de la Fondation Zinsou Les reines d'Afrique
Vue d’exposition Projet AGBARA Women 2020
Musée de Ouidah de la Fondation Zinsou 

De la couleur des costumes des reines d’AGBARA Women, Ishola Akpo nous transporte vers le noir des douze tapisseries brodées à la main de la série « Manifeste ». Des mots dans des langues « traditionnelles » africaines : asanté, swahili, yoruba, zulu…, font écho à la résistance de ces reines et se laisse deviner lorsque nous approchons des œuvres.

Il faut les décoder, les chercher, les déchiffrer, rendre visible l’invisible et percer le secret bien gardé de leur glorieux passé. Ishola Akpo proclame sa résistance et signe avec ces manifestes une nouvelle façon de faire de la photographie et de créer de nouvelles images. La puissance, la force et la détermination mais aussi la fragilité, de ces reines oubliées de l’Histoire, ont transcendé la sensibilité et la créativité d’Ishola Akpo. “AGBARA Women”, au-delà de l’hommage rendue à la Femme, témoigne du travail précis et inédit de cet artiste engagé.

« AGBARA Women »
Ishola Akpo
Musée de Ouidah / Fondation ZINSOU
Février – Octobre 2020
Cotonou, Bénin

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