Leikun Nahusenay. © Jack Webber

Rencontre avec Leikun Nahusenay

Leikun Nahusenay est un artiste plasticien né en 1982 à Addis-Abeba, en Éthiopie, où il vit et travaille actuellement. S’il s’identifie principalement comme un artiste autodidacte, il a néanmoins obtenu ses diplômes d’art à l’école des beaux-arts d’Ale (2006) et à l’école Teferi Mekonnen (2011) en Éthiopie.

Pour Nahusenay, la création d’une œuvre d’art vient de l’esprit et du cœur. Ses œuvres naissent de pieuses méditations et sont elles-même des méditations. En 2018, l’artiste a été sélectionné pour la première édition du programme de résidence artistique du Versant Sud à Marseille, en France. Pendant sa résidence artistique, Leikun Nahusenay a créé une série d’œuvres composées de dessins au pastel sur carton. Il a également réalisé une large tapisserie inspirée de ses dessins à Aubusson, une des référence du savoir-faire tapisserie en France et dans le monde. Artskop3437 s’est entretenu avec lui sur les récits de ses œuvres et sur la façon dont il vit la situation actuelle de Covid-19 en tant qu’artiste.

Comment te définis tu en tant qu’artiste ?

L.N: Je suis avant tout un artiste multidisciplinaire. Je travaille avec le collage de photos, la peinture, la gravure sur bois et le design graphique. Malgré mon diplôme en gravure sur bois, mon principal intérêt reste le dessin. Je dessine des lignes en images. J’aime expérimenter. Récemment, j’ai travaillé avec une technique de découpe de la photo.

Dites-nous en plus sur le processus de création de vos dessins.

L.N: J’aime dessiner des lignes et en faire des images. Je crée une composition en noir et blanc en gros plan, comme un échiquier où je dessine le drapé du vêtement et j’en arrive ensuite au sujet du corps et de l’âme, qui paraît être une personne sans visage. Un sujet qui m’intéresse beaucoup depuis un certain temps.

Vous semblez particulièrement apprécier la technique du pastel car beaucoup de vos dessins sont réalisés avec cette technique. Pouvez-vous nous en dire plus ?

L.N: Tout d’abord, le pastel est une technique dans laquelle je me sens à l’aise, que je maîtrise bien. De plus, le pastel me donne plus de liberté dans l’expression de mon art. Lorsque je dessine au pastel, je sens que l’acte créatif me vient aisément, et je suis capable d’exprimer mon travail dans les formes, les couleurs, les textures et les lignes exactes que je souhaite.

Leikun Nahusenay, Body versus Soul VIII, 2019. Cliquez sur l'image pour acquérir cette oeuvre.
Leikun Nahusenay, Body versus Soul VIII, 2019. Cliquez sur l’image pour acquérir cette oeuvre.

Pouvez-vous en dire plus sur la série « Body vs Soul » car lorsque nous observons certaines de vos œuvres de cette série, nous remarquons des silhouettes fantomatiques et sans visage qui reviennent sans cesse ?

L.N: « Body vs soul » est la série sur laquelle j’ai travaillé pendant ma résidence en France et que j’ai poursuivi en rentrant en Ethiopie. J’essaie de représenter la déconnection: comment notre corps et notre âme sont parfois séparés. Dans certaines situations, notre corps peut être présent, mais notre âme / notre esprit est errant, ailleurs. Un jour, alors que j’étais assis dans un café à Addis-Abeba, j’ai remarqué une jeune femme assise à une table plus loin qui semblait attendre son petit ami. Il n’est jamais venu. La jeune femme était physiquement dans le café mais elle n’était pas présente.

Dans la série « Lips lover », des formes organiques sont combinées à des formes plus géométriques. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Leikun Nahusenay, Lips lover VI, 2019. 65 x 50cm. Pastel sur carton épais. Encadrement en chêne naturel. Cliquez sur l'image pour acquérir cette oeuvre.
Leikun Nahusenay, Lips lover VI, 2019. 65 x 50cm. Pastel sur carton épais. Encadrement en chêne naturel. Cliquez sur l’image pour acquérir cette oeuvre.

L.N: Cette série représente également la connexion (et la déconnexion) de notre « corps et de notre âme ». Les formes florales organiques représentent ici les histoires d’amour qui provoquent cette (dé)connexion. Dans cette série, je représente la manière traditionnelle dont ces nouveaux amoureux essaient de se couvrir de baisers, tout en essayant de se cacher des autres.

Dans l’œuvre « Enate », un ensemble de symboles est présent. Pouvez-vous nous en dire plus ?

L.N: La plupart de ces symboles sont des représentations de l’alphabet amharique. J’utilise l’alphabet amharique dans mon art pour leur donner un son / une voix. De plus, j’ai vraiment l’impression qu’ils ajoutent à la beauté de l’ensemble, en y ajoutant des éléments artistiques : texture, design, symboles. En ces termes, j’exprime les nombreuses choses qui me viennent à l’esprit, des choses pour lesquelles je me demande si elles sont bonnes ou mauvaises, que je mets en doute (par exemple, l’actualité ou des choses que j’ai entendues à la radio).

Leikun Nahusenay, Enate 2019. 65 x50 cm. Pastel sur carton épais; Cliquez sur l'image acquérir l'oeuvre.
Leikun Nahusenay, Enate, 2019. 65 x50 cm. Pastel sur carton épais; Cliquez sur l’image acquérir l’oeuvre.

Beaucoup de ces textes sont, par exemple, des proverbes amhariques ou des expressions éthiopiennes avec des sens propres et figurés. Avec ces symboles, j’exprime les contradictions de notre existence, comme le noir et le blanc, la lumière et l’obscurité, le jour et la nuit, les âmes absentes et présentes, être à la fois ici et là-bas, aujourd’hui et demain, etc. Il y a une oeuvre qui est liée à la femme dans un échiquier en noir et blanc (lips lover VII), elle symbolise les dualités telles que le jour et la nuit, l’absence et la présence et ainsi de suite.

Vos oeuvres semblent aussi imprégnées de spiritualité. Pouvez-vous nous en dire plus ?

L.N: Je sens que nos expériences spirituelles se mêlent aux expériences plus physiques / terrestres. Comme dans la série « corps vs âme »(Body versus Soul) : notre corps fait l’expérience d’une réalité et notre âme d’une autre. Par exemple, dans la série « lips Lover », je voulais exprimer leur forte connexion spirituelle dans l’acte physique du baiser.

Leikun Nahusenay, Body Versus Soul VII, 2019. 65x50 cm. Pastel sur carton épais. Cliquez pour acquérir cette oeuvre.
Leikun Nahusenay, Body Versus Soul VII, 2019. 65×50 cm. Pastel sur carton épais. Cliquez pour acquérir cette oeuvre.

Que vous a apporté votre récente résidence artistique avec Versant Sud à Marseille ?

L.N: Lors de ma résidence au Versant Sud, j’ai mêlé mes expériences éthiopiennes à celles vécues à Marseille. C’était la première fois que je faisais une large tapisserie de 100 x 140 cm à partir d’un de mes dessins. J’ai appris à travailler avec des outils numériques, alors que dans ma culture, il est courant de travailler le tissage à la main. Travailler sur une tapisserie à Aubusson – qui a une longue histoire de tissage en France et dans le monde -, m’a permis de réfléchir davantage sur le tissu, les traditions entre ces deux régions Marseille et Addis Abeba. À l’avenir, j’aimerais continuer à travailler plus souvent avec le textile.

Comment vivez-vous cette période où le monde est impacté par le COVID-19 ?

L.N: En fait, je passe beaucoup de temps dans mon atelier pour créer. Et Bien sûr, sortir et être avec des amis me manquent, mais en même temps, j’utilise cette opportunité pour prier, méditer et créer une forme d’art qui peut apporter du réconfort à tout être humain en cette période.

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