Grégory Olympio, Femme, fond vert, 2020, acrylique sur toile, 55 x 46 cm. Courtesy de l'artiste et de Septieme Gallery

L’urgence de la création s’expose à Art Paris

Alors qu’Art Paris a été une première fois annulée, puis proposée en version numérique, elle voit enfin le jour au Grand Palais en ce mois de septembre. Si elle met en avant cette année la péninsule ibérique et éclaire la scène française autour de la narration, la présence africaine est toujours bien représentée.

Rachid Koraïchi, Les Priants, acier, dimensions variables, 2017 ©A2Z Art Gallery & Rachid Koraïchi
Rachid Koraïchi, Les Priants, acier, dimensions variables, 2007 ©A2Z Art Gallery & Rachid Koraïchi

Il y a des histoires d’amour qui s’écrivent sur le long terme, ce qui est le cas de celle qu’Art Paris a nouée avec le continent africain depuis trois ans, lorsqu’elle le mettait à l’honneur. «Le focus sur la création africaine en 2017 a pérennisé cette présence du continent sur Art Paris en mettant l’art contemporain africain en relation avec les galeries et des artistes du monde entier» analyse Guillaume Piens le commissaire général de la foire, et qui poursuit. «On se réjouit de la forte présence africaine cette année à Art Paris avec plus d’une vingtaine d’artistes originaires de 11 pays du continent : Afrique du sud, Algérie, Cameroun, Congo, Égypte, Guinée Bissau, Maroc, Nigeria, Sénégal, Togo et Zimbabwe. Il y aura des noms connus comme Hamed Abdalle, Soly Cissé, Katherine Cooper ou Hassan Hajjaj mais aussi des découvertes comme Clay Apenouvon, Epheas Maposa ou Moustapha Baidi Oumarou.» Et dans cette effervescence, notons que certaines galeries sont très jeunes puisque créées en 2019, ce qui est le cas pour Véronique Rieffel, 31 project et Septieme Gallery ou en 2018 pour Afikaris. Donc beaucoup de ces galeries participent pour la première fois à Art Paris.

Epheas Maposa, 2020, Photo booth Fantasia, oil on canvas, 127 x 93,5cm Courtesy 31 Project Art Paris Art Fair 2020
Epheas Maposa, 2020, Photo booth Fantasia, oil on canvas, 127 x 93,5cm Courtesy 31 Project

Clémence Houdart de 31 Project est très fière de la sélection, avec Epheas Maposa, un jeune peintre zimbabwéen qui commence à être dans les radars à l’international mais qui est présenté pour la toute première fois en France (une peinture expressionniste où les corps tordus sont une référence à la situation politique au Zimbabwe), et deux autres artistes qui ont eu une visibilité en France uniquement à travers les expositions de la galerie, Kelani Abass et Temitayo Ogunbiyi.

On prendra plaisir, sur le stand de la 193 Gallery, à retrouver les photographies dynamiques, pleines de vies et de couleurs de Hassan Hajjaj ou les peintures minimalistes de Sébastien Mehal qui sont autant de réflexions sur l’architecture et le poids de l’urbanisme. La galerie A2Z remet en lumière une installation de Rachid Koraïchi de 2016, Les Priants, le Loft une monumentale cheville de Yazid Oulab et la galerie Provost-Hacker propose un solo show dédié à Mahjoub Ben Bella qui nous a quitté le 11 juin dernier, juste avant un hommage que va lui consacrer l’Institut du Monde Arabe et une rétrospective programmée en octobre 2021 au MUba de Tourcoing.

Roméo Mivekannin, Behanzin, ses trois femmes debout, ses trois filles, 2020, acrylique, bains d’élixir sur toile libre, 252 x 330 cm Courtesy galerie Eric Dupont Art Paris Art Fair 2020
Roméo Mivekannin, Behanzin, ses trois femmes debout, ses trois filles, 2020, acrylique, bains d’élixir sur toile libre, 252 x 330 cm Courtesy galerie Eric Dupont

Beaucoup d’artistes traitent de sujets de société, comme c’est le cas de Willys Kezi ou de Roméo Mivekannin chez Éric Dupont qui décrit : « Son sujet d’élection est le corps, plus particulièrement le corps noir et ses représentations à travers l’Histoire. L’artiste parle du voile qui sépare les individus, ceux qui ne partagent pas la même couleur de peau, tout chez lui évoque cet affrontement, autant ses préoccupations que la matérialité même de ses œuvres. Il se tient sur cette frontière et par sa pratique, tente d’attirer à lui ceux qui le regardent, il nous sollicite et pose une question fondamentale : celle du déchirement de ce voile. »

Le propos se prolonge autour de l’esclavage à la galerie Chauvy qui expose un Champs de coton de Soly Cissé, une installation questionnant le rôle de la mémoire de l’esclavage et sa persistance contemporaine. Wole Lagunju, dont le pays, le Nigéria a payé un lourd tribut à ce trafic, juxtapose librement aux portraits de sources artistiques de diverses époques de l’art occidental des masques de la culture Yoruba.

Chez Afikaris, on bascule dans l’actualité avec la série d’Asiko ‘A black life matters‘. Ses photographies sont à la fois belles et troublantes de par le poids écrasant et étouffant du drapeau américain sur le corps musclé de l’homme photographié. Sa réponse directe au meurtre de George Floyd à Minneapolis. Jean David Nkot vient nous bousculer dans notre confort quotidien assisté par les smartphones et autres appareils électroniques dont les composants proviennent de mines dont l’exploitation relève de l’esclavagisme. Sa toute dernière série ‘Les creuseurs de sous-sol’ sort de l’ombre des ouvriers dont nous ignorons leur sacrifice pour notre confort.

Moustapha Baidi Oumarou propose une vision optimiste de la situation tout comme Grégory Olympio, ce dernier étant à retouver sur le stand de la Septieme Gallery.

Clay Apenouvon, Carré de survie III, 2020, plastique, film noir et couverture de survie, 250x250x35 cm. Courtesy galerie Véronique Rieffel Art Paris Art Fair 2020
Clay Apenouvon, Carré de survie III, 2020, plastique, film noir et couverture de survie, 250x250x35 cm. Courtesy galerie Véronique Rieffel

Véronique Rieffel, qui a fait le choix de s’installer en Côte d’Ivoire, invite trois artistes originaires du Maroc, du Sénégal et du Togo à présenter ensemble leurs œuvres, dont certaines inédites, faites pendant ou dans la période de l’immédiat après confinement, dans une urgence de création. « En contre point à l’exposition Soleils noirs présentée au Louvre Lens dans une perspective exclusivement occidentale, il nous semblait pertinent de présenter ici des œuvres offrant une exploration plastique de la profondeur de la couleur noire, sublimée par son association avec l’or, et les couleurs primaires rouge, jaune et bleu, à travers des  »peintures plastiques », des impressions numériques et de la photographie » confie-t-elle.

Il y aura les arabesques de Najia Mehadji, synthèses entre le soufisme et l’expressionnisme abstrait, les photographies du projet EVOL d’Alun Be, qui met en évidence le rôle souvent occultés des femmes laissés à l’écart de l’histoire et les œuvres monumentales de Clay Apenouvon qui a développé le concept de « Plastic Attack » pour interpeller le public sur la nocivité de la matière plastique. « Héritier à la fois de l’Arte Povera, de Christo dont il reprend le principe de l’art comme emballage, ou encore de Soulages et de son exploration intense du noir, Clay Apenouvon sublime des matériaux tels que le plastique, film noir et la couverture de survie qu’il transforme en or précieux. »

Omar BA, Afrique ou La Grande Traversée vers un État Nation, 2019, 205 x 305 cm © Courtesy Templon, Paris – Brussels Art Paris Art Fair 2020
Omar BA, Afrique ou La Grande Traversée vers un État Nation, 2019, 205 x 305 cm © Courtesy Templon, Paris – Brussels

Enfin, on retrouvera Omar Ba à la galerie Templon que présente Anne-Claudie Coric, la directrice executive de la galerie : «Omar Ba, qui a longtemps travaillé entre l’Europe (Genève) et l’Afrique (Dakar) bénéficie depuis 2 ans d’une reconnaissance croissante aussi bien en Europe, qu’en Amérique. En décembre à Art Basel Miami Beach toutes ses toiles se sont vendues en quelques heures. En 2018-2019, il a eu une formidable rétrospective au Canada (Power plant de Toronto puis Musées des Beaux-Arts de Montréal) qui l’a fait découvrir Outre-Atlantique. Il a été sélectionné pour la prestigieuse résidence d’artiste ISCP à Brooklyn qui, même si elle a dû être interrompue à cause de la crise sanitaire, devrait être un bel accélérateur de reconnaissance internationale.

Omar Ba est sénégalais mais refuse d’être enfermé dans la catégorie « art africain ». Sa peinture tente un dialogue avec l’histoire de l’art, encourage les liens entre les continents, et son message, certes ancré dans une réalité politique africaine, se veut profondément universel. Il s’interroge sur les questions de globalisation, d’écologie, d’information, sur l’avenir de la jeunesse, sur l’hybridation des cultures. Je pense que c’est aussi une des raisons de son succès. Son œuvre séduit les collectionneurs d’art contemporain au sens large, pas seulement ceux intéressés par la création africaine. »

Art Paris 2020
Ouvert de 12h à 20h, sauf le vendredi, de 12h à 21h
Du 10 au 13 septembre
Grand Palais Avenue Winston Churchill
75008 Paris

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À propos de l’auteur

Stephanie Pioda

Historienne de l'art, journaliste et éditrice formée à l'Ecole du Louvre et à la Sorbonne, Stéphanie Pioda écrit principalement sur le marché de l'art, l'art contemporain, l'archéologie et les métiers d'art (Beaux-arts Magazine, Le Quotidien de l'Art, La Gazette de Drouot, Archéologia, Dossiers de l'Archéologie). Elle a participé à plusieurs projets d'édition dont l'ouvrage Seaside de François Avril ou avec Somogy (dont des monographies sur Speedy Graphito et François Bard). Elle coordonne par ailleurs régulièrement des hors-séries pour Beaux-Arts Éditions.

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