Luam Melake. © Luam Melake.

Luam Melake et ses intrigantes hybridations

Du 3 septembre au 30 octobre 2020, Artskop3437 est heureux d’accueillir une exposition personnelle en ligne de l’artiste Luam Melake en partenariat avec Versant Sud. La pratique artistique de Luam Melake se focalise sur des sculptures tissées à la main et des objets de mobilier fonctionnels qui vivent comme des véhicules de contemplation et de connexion empathique. Elle se réfère à l’histoire et aux méthodologies de l’art, du design, de l’artisanat, de l’architecture et de la fabrication industrielle. Les matériaux sont empruntés à chacun de ces domaines et combinés dans des œuvres qui font s’effondrer ces disciplines. L’abandon d’un cadre hiérarchique permet d’examiner plus précisément comment ces domaines s’informent mutuellement et ce qu’ils peuvent communiquer.

Luam Melake, Recovery, 2016. Lace weaving and tapestry needle weaving. 124 x 68,6 cm. Copyright the artist
Luam Melake, Recovery, 2016. Tissage de la dentelle et tissage de la tapisserie à l’aiguille. 124 x 68,6 cm. Copyright de l’artiste. Cliquez ici pour en découvrir plus.

« J’en suis venu au tissage par un processus d’élimination », explique Luam Melake, artiste basée à New York. Melake trouve l’architecture – pourtant diplômée de cette discipline de l’Université de Berkeley en Californie – « trop long ». En effet le mobilier substantiellement expérimental qui constitue le deuxième pilier de sa pratique artistique « nécessite beaucoup de temps d’arrêt, un temps nécessaire pour laisser prendre les choses ». Au lieu de cela, elle trouve dans le tissage une réelle possibilité « d’expérimentation immédiate ».

Luam Melake, Confines, 2017. Cuir tissé. 47,6 x 52 cm. © Luam Melake
Luam Melake, Confines, 2017. Cuir tissé. 47,6 x 52 cm. © Luam Melake. Cliquez ici pour en découvrir plus.

Ironiquement, le tissage à la main n’est que très peu célébré pour son immédiateté, mais comme tant d’autres choses, la nuance est relative. Dans son travail de chercheuse en matériaux pour l’environnement bâti aka architectural, l’artiste est plus familière avec le délai nécessaire à la construction d’un bâtiment que celui d’un textile. Elle reconnaît cependant que les œuvres matérielles qu’elle crée peuvent souvent être ignorées par un visiteur peu patient. L’intérêt que porte Melake aux possibilités de notre monde matériel trouve un écho plus important auprès des contemplateurs dans ses textiles et ses pièces design.

Lors d’une résidence au Musée des Arts et du Design (MAD) de New York en 2017, Melake « a voulu trouver un moyen permettant aux autres de faire une introspection ». Elle présenta des matériaux dont la fonction n’avait pas été divulguée aux visiteurs. Ces derniers ont ensuite été invités à partager leurs réflexions sur ce que ces matériaux évoquaient. Une série de tissages ont été créés en réponse à cette invitation. Surprise par la nature confessionnelle de bon nombre des conversations révélées, Melake a constaté que le projet confirmait sa fascination pour le pouvoir communicatif des matériaux. « Les choses que je fais sont liées à des objets reconnaissables et destinées à un usage quotidien », explique-t-elle. Liés, mais loin d’être identiques.

Des oeuvres antérieures tels que Recovery (2016) sont réalisés grâce aux techniques de tissage à l’aiguille de la dentelle et de la tapisserie pour dit-elle « camoufler la grille, nécessaire à la pratique du tissage ». Elle combine des matériaux tels que le cuivre et le ciment appliqués à froid avec la structure poreuse du textile, décrivant l’œuvre comme un paysage d’émotions variées qui apparaissent dans « le processus constant de guérison et de raccommodage de soi-même, ainsi que la menace implacable du désespoir et de la dépression qui menace de s’engouffrer et de durcir ».

Luam Melake, Remains, 2018. Acrylic and Lurex fibre with polymer clay and cellophane. 51 x 63.5 cm. Copyright the artist.
Luam Melake, Remains, 2018. Acrylique et fibre Lurex avec argile polymère et cellophane. 51 x 63,5 cm. Copyright de l’artiste. Cliquez sur l’oeuvres pour découvrir plus.

Remains (2018) est composé de matériaux inhabituels, réunissant des fibres d’acrylique et de lurex avec de l’argile polymère et du cellophane. Melake fait ici référence à un sédiment archéologique d’une « section topographique, révélant une histoire de fragments d’argile, de terre et de poterie, suivie de couches de plastiques et de produits pétroliers ». L’attention portée aux compositions matérielles évocatrices est également apparente dans Outpouring (2019) où des tubes de caoutchouc s’affaissent de manière dramatique. On trouve une alchimie de goudron, de caoutchouc, de laine d’acier et de ciment côtoie des imitations de feuilles d’or et d’argent dans Without qualities (2018), tandis que des languettes de mousse de polyuréthane, de fil de nylon, d’uréthane et de fibres de flocage suggèrent des tests de matériaux dans Parts That Fell Away (2019). « Je pense qu’il est facile d’écarter ce qui est reconnaissable », explique Melake à propos de sa recherche de l’équilibre entre le familier et l’inhabituel.

Luam Melake, Without Qualities, 2018. Acrylic tube, plastic thread, tar, rubber, cement, paper, imitation gold and silver leaf, rocks, foam, steel wool, metal chain, pennies. Copyright the artist.
Luam Melake, Without Qualities, 2018. Tube acrylique, fil de plastique, goudron, caoutchouc, ciment, papier, imitation de feuille d’or et d’argent, roches, mousse, laine d’acier, chaîne métallique, pièces de monnaie. 63,5 x 37,5 cm. Copyright de l’artiste. Cliquez ici pour en découvrir plus.
Luam Melake, Dark Ages, 2017. Sculpture tissée - Textile. 67,3 x 66,7 cm. © Luam Melake
Luam Melake, Dark Ages, 2017. Sculpture tissée – Textile. 67,3 x 66,7 cm. © Luam Melake. Cliquez ici pour en découvrir plus.

En plus du tissage, Luam Melake débuta une nouvelle série de mobilier intitulée Optimisd (un mélange des mots « optimist » (optimiste) et « optimized » (optimisé)). Les pièces de design Listening Chair (2019) et Better Together Table (2019) permettent de s’asseoir de façon à observer, bercer ou entendre une autre personne – une réponse à « l’aliénation et au déclin de l’empathie », un phénomène répandu non seulement en Amérique, mais aussi dans le monde entier aujourd’hui. Elle explique que ce n’est pas un travail qui prétend résoudre les problèmes du monde, mais plutôt « une tentative désespérée de faire quelque chose ; une tentative optimiste ».

Récemment, Port, Porte, Porter (2019) propulse le tissage de Luam Melake à une plus grande échelle. L’œuvre, une commande spéciale de la Fondation Blachère, a été tissée à la main à la Manufacture sénégalaise des arts décoratifs, une organisation fondée par le poète, théoricien de la culture et ancien président Léopold Sédar Senghor en 1966. Le projet a été géré par Versant Sud à Marseille, qui se consacre au développement de projets artistiques et culturels dans le sud de la France et dans les capitales du continent africain – des zones géographiques qui partagent le défi d’une infrastructure artistique locale limitée.

Luam Melake, Port, Porte, Porter (2019). © Luam Melake.
Luam Melake, Port, Porte, Porter (2019). © Luam Melake.

Melake a puisé son inspiration initiale pour la tapisserie dans le livre de Rahim Danto Barry, Portes d’Afrique, qui propose un parcours architectural des portes et entrées en Afrique subsaharienne. Le titre Port, Porte, Porter propose un jeu de mots linguistique, suggérant différentes versions du mouvement par la mer et par les portes – des lieux d’échange qui offrent des références poignantes aux histoires du colonialisme et du commerce des populations réduites en esclavage à l’ouest du continent africain.

Malgré l’expérience considérable des tisserands de la Manufacture sénégalaise des arts décoratifs, la sélection de jute, de raphia et de fibres synthétiques de Melake était inhabituelle et représentait un défi au niveau du tissage. Une fois le textile terminé au Sénégal, Melake appliqua de la peinture à base d’argile et de plâtre sur la surface tissée et une structure en aluminium a été créée dans les ateliers de la Fondation Blachère. « Je veux pousser la tapisserie vers des formes tridimensionnelles », explique-t-elle.

Luam Melake, Outpouring. © Luam Melake
Luam Melake, Outpouring, 2019. Tubes de caoutchouc. © Luam Melake

Les textiles et le mobilier design de Luam Melake sont des créations qui ne ressemblent plus à une taxonomie. Ils proposent plutôt de curieux mélanges de matériaux et de techniques qui refusent d’être limités par les attentes d’une seule catégorie ou définition.

Port, Porte, Porter (2019) sera exposée à Sumegne/Ngaparou et sera inaugurée à la Fondation Blachère en octobre 2020.

Luam Melake ( Née en 1986) est diplômée de l’Université de Californie à Berkeley, où elle obtint une licence en études de terrain interdisciplinaires, avec une spécialisation en architecture et en histoire de l’art en 2008. Elle a collaboré avec des institutions publiques et privées sur des projets commissionnés et a été artiste en résidence dans des institutions de premier plan, notamment le Musée des Arts et du Design de New York, le Bemis Centre pour l’Art Contemporain d’Omaha et la Fondation Blachère à Apt, en France. Melake vit et travaille à New York.

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À propos de l’auteur

Jessica Hemmings

Jessica Hemmings écrit sur le textile, et les pratiques artistiques centrées sur les fibres et le textile dans l'art. Elle est professeur des métiers d'art et vice-présidente de la recherche à la HDK-Valand, Université de Göteborg, Suède, et titulaire de la bourse Rita Bolland 2020-2021 au Centre de recherche sur la culture matérielle, Pays-Bas.

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